Pierre ANDRE

Auteur-Compositeur-Interprète

 

La Musique et la Terre

Des premiers jours au premier bal

 

 

   PREMIERS PAS

 

 

 

     Le mardi 18 août 1959, au numéro quatre de la rue La Fontaine, à Limoges, Jean et Jeannette ANDRE eurent la joie d’annoncer à leur famille et à leurs amis la naissance de leur premier enfant, un petit garçon qu’ils surnommèrent Pierre. 

    Mes parents étaient mariés depuis un peu plus de deux ans. Mon père, qui était originaire de Barbezières, une petite commune rurale du nord de la Charente, travaillait à la SNCF, où il était entré en 1949 sur concours, à l’âge de dix-sept ans. Sa première affectation avait été la gare de Saint Amand de Boixe, en Charente, où il se rendait en vélo depuis Barbezières. Par la suite, il rencontra ma mère, Jeannette PICHON, qui avait quitté le domicile familial de sa mère à Limoge, à l’âge de dix-sept ans également, pour travailler dans les services de l‘armée de terre à Angoulême. Après leur mariage en 1957, ils s’installèrent à Paris, puis obtinrent leur mutation pour Limoges quelques jours avant ma naissance. J’ai donc failli être parisien... mes parents se plaisaient alors à Paris, dans un Paris qui était plus agréable à vivre que celui d’aujourd’hui. Ils sont revenus vivre à Limoges pour aider financièrement, ainsi que par leur présence, ma grand-mère Angèle, la mère de ma mère, qui élevait ses trois autres enfants : Georges, Nicole et Geneviève encore scolarisés.

   Ma famille maternelle, limousine, est originaire, du côté de mon grand-père Pichon, du village de Cars en Haute-Vienne, d’origine paysanne. La famille de ma grand-mère Angèle, Coquille de son nom de jeune fille, était originaire de Saint-Priest-Taurion, paysans limousins également.

   Ma famille paternelle, charentaise et paysanne depuis la révolution française, est originaire du petit village de Barbezières, dans le nord-Charente. Mon père a remonté l’arbre généalogique de ses ancêtres, originaire de la commune de Mons (Charente).

   D’après ce que l’on m’a raconté, ma naissance s’est bien passée, mais à cette époque, les jeunes mamans accouchaient au domicile familial, car elles craignaient des échanges éventuels de bébés dans les cliniques. Je suis donc sûr d’être le fils de mes parents, ce qui est déjà une certitude importante.

    D’aussi loin que mes souvenirs me reviennent, les choses qui sont restées dans ma mémoire sont des odeurs de café au lait, les myosotis du jardin de la rue Jean de La Fontaine et l’ombre du grand cerisier, des notes qui s’envolaient du vieux piano de ma mère, la quatre chevaux Renault de mes parents et la Simca 1000 de mon futur oncle Max, qui habitait à Limoges, chez ses parents, à l’angle de l’avenue Émile Labussière.

  Au fond de la cour à gauche se trouvait l’ancien atelier de mon grand-père Raoul, décédé alors que ma mère avait à peine 14 ans. J’adorais aller fouiner dans cette sorte de caverne d’Ali Baba de menuisier, de plâtrier, où se trouvaient encore sous l’établi des planches, des morceaux de tasseaux, des pointes, des outils, et surtout la vieille poussette de ma maman. Je sortais ce vieux landau, pleine de sciure de bois, et je courais en le poussant aussi vite que je le pouvais dans la cour et le jardin de la maison. C’était pour moi ma première voiture de rallye. Je prenais des virages dans l’herbe en le faisant déraper, et ma pauvre grand-mère Angèle criait après son coquin de petit-fils qu’il allait tout casser et se faire du mal. Alors, je rangeais la poussette et repartais dans le jardin de ma grand-mère pour goûter quelques groseilles ou deux ou trois graines de cassis.

   Dans cette cour, un grand cerisier dont les racines ressortaient à travers l’herbe, faisait mon bonheur à la saison printanière. N’étant pas encore assez grand pour attraper les premières branches, je mangeais toutes les cerises que je pouvais ramasser par terre.

   L’endroit le plus mystérieux de la maison de ma grand-mère Angèle était certainement le garage, en contrebas de la cour du jardin. Ce garage, personne n’y allait pratiquement jamais. À gauche en entrant, il y avait sous une grande bâche la vieille voiture Renault de mon grand-père. Je n’ai jamais vu vraiment cette voiture, jamais personne ne la ressortit je pense, depuis le décès de mon grand-père Raoul, et j’avais trop peur de soulever cette bâche toute poussiéreuse pour voir ce qu’il y avait dessous.

   L’entrée principale de ce garage se faisait par l’avenue Émile LABUSSIÈRE. L’avenue Emile LABUSSIÈRE telle que je l’ai connue n’existe plus aujourd’hui dans l’état de l’époque : un kilomètre de rue avec des pavés, des vrais, où les voitures qui y passaient te réveillaient la nuit.

   Ma grand-mère Angèle, qui n’était pourtant pas très vieille puisqu’elle a eu 50 ans en 1959, avait souvent du mal à bouger son épaule droite, malade de rhumatismes, ainsi que d’une vie de femme au foyer bien moins confortable que celle des femmes d’aujourd’hui. Les machines à laver n’avaient pas encore pris leur place dans les foyers, la lessive se faisait à la main, ainsi que la vaisselle de toute la famille. Elle prenait pour se soulager l’antalgique universel de l’époque : la metaspirine. Je la revois faire sa lessive à la main, dans le grand bac en ciment de la cour du jardin, en tapant, frottant, rinçant les draps et les vêtements de ses enfants. L’hiver, elle se levait avant les autres pour remettre du charbon dans les poêles et la cuisinière.

   Les matins d’hiver, une petite mésange venait picorer le beurre que ma grand-mère posait sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, au premier étage. Sur cette fenêtre, elle posait aussi sa bouteille de lait, en verre, pour le tenir au frais. A l’âge de deux ans, j’étais à peine assez grand pour parvenir à la hauteur du bord de cette fenêtre, mais je voulais pousser la bouteille de lait pour la faire tomber dans la cour. Ne parlant pas encore trop bien, je disais : va-t’en bouteille de « na ». Le « na » était le lait. C’est un souvenir que ma mère m’a souvent raconté.

   Lorsque ma grande mère me l’autorisait, j’adorais monter passer du temps dans le grenier. Deux pièces de ce grenier m’attiraient particulièrement. La première mansarde était remplie de vieux jouets de ma mère, à savoir des poupées, divers objets d’autrefois dont l’utilité m’échappait. La deuxième mansarde était une sorte de caverne d’Ali Baba de mon parrain Georges, remplie de fils et de composants électriques, et surtout de maquettes d’avions. Je ne me lassais pas de regarder ces modèles réduits dans lesquels je voyageais par l’imagination. Je rêvais de piloter un jour un avion ; je voulais même en faire mon métier. Hélas, pour être pilote il fallait avoir une vue parfaite, et aujourd’hui encore, les seuls avions dans lesquels je suis monté sont ceux des fêtes foraines.

 

   Certain week-end, et pendant la plupart des vacances, nous allions à Barbezières, dans la famille de mon père. Barbezières était déjà pour moi synonyme de liberté, contrairement à la ville où nous vivions toute l’année. Une image me reste en tête depuis cette époque, c’est celle d’un matin d’été où je m’étais levé de bonne heure, et où le bleu du ciel m’avait profondément touché. Je devais avoir environ trois ans, et je n’avais encore rien vu d’aussi beau. C’est peut-être ce jour-là qu’est né mon amour pour la nature, la vie à la campagne et pour les choses naturelles, simples. Celles qui ne sont pas sophistiquées et salies par la main de l’homme.

  A Barbezières, j’avais besoins d’être dehors, même par mauvais temps. Tout m’intéressait : les animaux de la ferme de mes oncles et de ma tante, bien sûr, mais aussi la vie agricole, les cultures dans les champs, les arbres, le jardin, tout. Quand nous repartions pour Limoges, c’était un peu comme si je revenais en prison, car la vie en ville à toujours été un peu pour moi une pénitence obligée par les nécessités de la vie de mes parents. Je ne comprenais pas que l’on puisse aller vivre en ville pour être plus heureux. C’était, et c’est toujours pour moi une aberration.

   Je suis d’origine paysanne, paysan pour une partie de ma vie, et fier de l’être.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DECOUVERTE DE L’UNIVERS MUSICAL

 

 

   Mon père et ma mère travaillant, c’était ma grand-mère, mamie Angèle qui me gardait la journée, en attendant que j’ai l’âge de rentrer à l’école maternelle. Je dois reconnaître aujourd’hui qu’elle avait fort à faire avec ce galopin qui ne voulait en faire qu’à sa tête, et qui profitait de chaque instant d’inattention de sa grand-mère pour faire une bêtise, ou pour en envisager quelques unes à venir.

   Je pouvais cependant descendre en toute liberté dans la grande salle à manger du bas, où personne n’allait jamais, pour jouer quelques notes de piano. Cette pièce sentait bon une odeur d’autrefois, de vieux objets qui avaient leur histoire, mais qui ne m’évoquait aucun souvenir car je n’en avais pas encore. Je m’y sentais bien, en paix. Alors, je soulevais le couvercle du vieux piano, je retirais le tissu vert qui protégeait les touches, et je tapais quelques notes, sans aucune logique, simplement pour entendre des sons qui étaient agréables à mon oreille, surtout quand j’appuyais sur la pédale de droite qui permettait la résonance des notes. De temps en temps, ma mère, mon parrain Georges ou ma tante Geneviève me jouaient une petite oeuvre classique, et j’avais déjà un penchant pour les musiques écrites en mode majeur. Le mode mineur à toujours été pour moi un mode triste et donc rébarbatif. J’ai toujours pensé que les choses tristes sont désagréables, et arrivent en général sans les rechercher. Je ne suis pas porté à les mettre en musique. La musique est pour moi une source de joie, l‘évocation de choses, d‘événements beaux et joyeux.. Donc inconsciemment, je préférais déjà le mode majeur.

 

   Seul, je tapais pendant de longs moments sur les touches du piano, sur n’importe quelles touches, avec mes deux mains. Il en résultait une cacophonie assourdissante, mais les sons qui en sortaient me faisaient du bien. J’avais l’impression un peu d’exprimer de la sorte tout ce que je ne pouvais pas, et que je ne savais pas dire en parlant avec des mots. Aujourd’hui encore, je suis convaincu que l’on peut s’exprimer parfois avec plus de précision et de sensibilité avec de la musique qu’avec des mots.

  Cependant, ce défoulement musical n’était pas toujours du goût de mon entourage, et il n’était pas rare qu’au bout de quelques minutes, quelqu’un de la famille rentre dans la salle à manger pour me faire arrêter mes improvisations dissonantes.

   Mon parrain Georges, qui est le frère de ma mère, a toujours porté de l’intérêt à l’activité musicale de son filleul de Pierre. Lorsqu’il arrivait de Paris pour nous voir rue La Fontaine, il s’amusait avec moi, et un beau jour, il m’a montré son harmonica, un gros Honer. J’ai découvert, en soufflant dans cet instrument, des sonorités qui ont tout de suite plu à mon oreille. Les vibrations de plusieurs de ces lames ensembles m’évoquaient de belles choses, de belles sensations. Lorsque mon parrain repartait pour Paris, on me cachait cet harmonica afin que je ne le casse pas. Je dois avouer aujourd’hui que j’avais repéré sa cachette. Dans l’armoire de la chambre de ma grand-mère. Dès que j’étais seul, je m’empressais de monter sur un tabouret pour accéder au tiroir de l’armoire, de prendre l’harmonica, et de jouer, jouer, jouer de simples mélodies inconnues, mais qui me faisaient du bien.

     Au bout de quelques temps, j’arrivais à jouer de petites mélodies connues sur cet instrument, et ma famille tolérait alors de me le laisser un peu plus à ma disposition pour que je m’amuse un peu. Ce fut vraiment sur cet instrument que j’ai fait mes premiers pas musicaux. Quand je ne connaissais pas les mélodies, je les inventais, c‘était plus facile pour moi. Vraiment. En repensant à ces évènements, je comprends maintenant que j’ai eu beaucoup de chance d’avoir la facilité d’oreille que j’ai, et la facilité de composer des chansons.

    Comme je l’ai dit précédemment, la musique était un moyen d’expression plus facile et plus précis pour moi que la parole. Je n’ai aucun mérite à cela. Je crois que c’est un don qui m’a été fait et j’en remercie le Ciel. Je pense que nous avons tous un don, une vocation, quelque chose que l’on fait avec beaucoup plus de facilité que les autres. Pour certains, c’est le dessin, la peinture, la chirurgie, l’élocution, etc…Me concernant, c’est la facilité d’inventer une mélodie, et d’en reproduire d’autres « à l’oreille ». C’est aussi, je pense, cette facilité qui a été la cause de ma répulsion précoce pour le solfège. Il m’a fallu de nombreuses années pour en accepter l’utilité et la nécessité incontournable pour un musicien.  Mais j’en reparlerai plus loin…

 

   Je devais avoir à peine trois ans lorsque ma famille m’offrit un petit accordéon avec une seule rangé de boutons. Comme avec l’harmonica, j’ai commencé à jouer quelques mélodies “à l’oreille”, notamment des bourrées et polkas limousines que j’avais entendues chanter par certaines personnes de ma famille, ou jouer par des groupes folkloriques de la région. La radio était souvent allumée, car à cette époque, il n’y avait pas encore de poste de télévision dans la maison. Radio Limoges diffusait beaucoup de chansons de Jean Ségurel, la vedette régionale et même nationale de l’accordéon. Je me souviens d’un jour où la fenêtre de la salle à manger était ouverte. De l’autre côté de la rue La Fontaine, des maçons travaillaient à la construction de la maison du docteur Dufour, qui devait devenir notre médecin de famille. L’idée m’est venue de jouer un vieil air du pays avec mon petit jouet d’accordéon, tout en me cachant sous la fenêtre, ce qui n’est pas difficile pour un enfant de trois ans. Je les voyais sans être vu, et ils cherchaient à savoir qui leur jouait une bourrée limousine, avec, il faut bien l’avouer, quelques fausses notes. Mes parents m’on raconté plus tard que ces maçons avaient été surpris d’apprendre l’age de cet accordéoniste invisible.

 

   Chez ma grand-mère, il y avait aussi un tourne disque, sur lequel j’ai découvert les Quatre saisons de Vivaldi, et quelques morceaux classiques qui me plaisaient.

   Quand on a trois ans, la mode musicale n’existe pas. Lorsque j’entendais une musique, je ne me posais pas de questions. Elle me plaisait ou ne me plaisait pas. La première chanson que j’écoutais par plaisir, je dirais même par besoin, c’est « l’Eau vive » de Guy Béart. Cette chanson me touchait d’une façon qui n’est pas explicable par des mots. Une sorte de sensation que le Paradis existe et qu’une simple chanson en vient. C’était cela que je ressentais en écoutant « l’Eau vive ».

   Mais j’aimais aussi l’accordéon, notamment les musiques du folklore limousin, les valses de Strauss, mais aussi la musique Savoyarde, alsacienne, allemande, tyrolienne. J’ai aussi écouté en boucle étant enfant la symphonie Pastorale (N°6) de Beethoven. Peut-être un peu de génétique. On aurait, d’après ce qu’un médecin avait rapporté à ma mère, des origines germaniques ou nordiques. Je n’en serais pas surpris franchement….

   Depuis ma naissance, nous habitions chez ma grand-mère. Cela ne dura pas très longtemps, car mes parents trouvèrent un appartement HLM, square d’Anjou, au numéro 22, dans le quartier du Vigenal. Nous étions chez nous, à deux kilomètres environ de chez mamie Angèle. Mon petit accordéon n’étant pas très robuste, il n’a pas résisté longtemps au tempérament un peu brutal de son propriétaire et ma première expérience musicale pris fin pour quelques temps, faute d’instrument.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A L’ECOLE MATERNELLE

 

 

 

   En 1963, tout allait bien pour moi. Je passais mes journées chez ma grand-mère et ma mère me retrouvait le soir en sortant du travail, pour rentrer chez nous.  S‘il m‘arrivait de faire quelques grosses bêtises, celles-ci étaient relativement rares à mon avis, mais il ne se passait guère de journée sans que je me fasse gronder pour un oui ou pour un non. Comme si ma première rentrée scolaire qui approchait devait être une suprême punition, on m’avertissait souvent : « Tu vas voir quand tu vas aller à l’école, il faudra que tu obéisses à la maîtresse ou bien tu seras puni, tu auras le bonnet d’âne, tu auras la fessée cul nu,” et bien d’autres menaces et sanctions. Vous avouerez qu’il y a d’autres méthodes pour encourager un bambin de trois ans et demi à aller à l’école. Pas très motivé déjà le gars Pierre.

 

   A cette époque, les enfants n’avaient pas droit de réponse lorsque les adultes leur disaient quelque chose. Je devais me taire, et surtout, il ne fallait pas qu’une éventuelle réplique de ma part soit logique et déstabilise celui ou celle qui venait de me gronder. Prouver par une réflexion cartésienne à un adulte qu’il n’avait pas raison était une faute grave pour un gosse de mon âge, et la remonté de bretelles que j’attrapais était proportionnelle à l’impertinence de mes paroles. C’est pour cette raison aussi que depuis toujours, je dis à mes propres enfants que les principes que nous leurs demandons d’appliquer valent aussi pour nous, les parents. Je considère que quelqu’un qui me prouve que j’ai tors, avec des arguments sensés bien sûr, qu’il ait cinq ans ou quatre vingt ans, doit être pour moi l’occasion de reconnaître une erreur et de la corriger. Cela n’empêche pas mes filles de respecter leurs parents.

 

   La rentrée des classes avait lieu vers le quinze septembre, et j’étais inquiet d’affronter ce que je considérais comme une entrée dans un établissement disciplinaire, presque militaire. Heureusement, je m’aperçu que mon institutrice était loin d’être l’adjudant qu’on m’avait promis. Bien au contraire, madame Boucher, mon institutrice, était une femme d’une grande gentillesse, qui savait s’occuper des enfants et les intéresser, un peu comme une maman.

   Le premier jour de classe, il faisait un vrai temps d’automne, couvert et pluvieux. Ce genre de temps qui vous fait comprendre que l’été est fini, et les vacances aussi. Tous les enfants des classes de maternelle étaient réunis sous le préau, et nous avons fait une grande ronde en chantant “J’aime la galette...” sur l’air de “La mère Antoine,” une vieille chanson du répertoire limousin. Cette journée m’a laissé un souvenir aujourd’hui encore très présent. J’imaginais, en chantant cette comptine, les galette que faisait ma grand-mère, et il me tardait de sortir le soir de l’école pour manger à cinq heures, un morceau de brioche chez mamie Angèle, tartinée avec du beurre ou de la confiture. Depuis tout petit, je ne renie pas le plaisir que j’ai quand je mange quelque chose de bon. A cette époque, il n’était pas de mode de faire réchauffer des plats cuisinés au micro-ondes, ou d’aller s’alimenter au “Macdo”. La cuisine était préparée, mijotée, faite au jour le jour, avec des choses simples et bonnes.

   L’ambiance de la classe me plaisait beaucoup. J’apprenais à écrire mes premiers mots et mes premières phrases, je commençais à savoir un peu compter, et j’apprenais dans la cour de récréation que lorsqu’un bon copain te donne un coup de poing, il faut taper plus fort que lui pour qu’il te foute la paix et qu’il te respecte. Je commençais aussi à m’apercevoir que la compagnie d’une belle fille pouvait être une chose très agréable et motivante.  

 Ma première année de maternelle s’était donc très bien passée.

 

   En deuxième année, j’avais une institutrice un peu plus sévère, madame Lacouchie, mais juste ce qu’il fallait pour obliger une classe de trente élèves à être attentifs. Je remercie aujourd’hui particulièrement cette maîtresse d’école de m’avoir donné le goût d’écrire, en nous faisant raconter en quelques lignes ce que nous avions fait pendant le week-end ou pendant les vacances. Elle appelait cet exercice un « texte libre ».

  Lorsque je suis sorti des classes maternelles pour rentrer au cours préparatoire, je savais déjà m’exprimer par écrit, pratiquer le calcul mental de base et dire une récitation sans trop de problèmes.

 

   Printemps 1965 – Ma dernière année de maternelle se passe très bien et ma mère me fait prendre mes premiers cours de solfège, par la fille d'un collègue de travail, qui est premier prix de conservatoire. L’intention était fort avouable, mais à cet âge-là, le solfège devient rapidement un instrument de torture qui dégoûte d’apprendre un instrument de musique. Mais pour ma mère, militaire de carrière, la musique c’est comme la vie, il y a des règles et un ordre des choses. Mais le caractère de son petit Pierre est déjà incompatible avec certaines règles…C'est un échec rapidement. Mais je retiens malgré tout le nom et la position des notes sur la portée, et je connais la différence entre une noire, une blanche, une ronde...Cela me servira plus tard effectivement. Les cours s'arrêtent au bout de quelques mois.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ECOLE ET LES VACANCES

 

 

 

   Septembre 1965, je dois rentrer au cours préparatoire. Là encore, le conditionnement psychologique raffiné de mon entourage à pleinement réussi… Les mois précédents cette date, que ne m’a-t-on pas assez répété ces phrases : « Tu vas voir, maintenant, c’est l’école sérieuse, il va falloir que tu travailles dur, le maître et la maîtresse sont très sévères, … ». Ceci m’a été dit à maintes reprises, par parents, tantes, famille, et autres personnes bien intentionnées pour me remonter le moral avant ma rentrée au C.P.

   Il est bien évident que le jour de la rentrée à l’école Descartes de Limoges, j’étais conditionné comme un veau qu’on emmène à l’abattoir. Mes parents ont dû me « porter » en classe, en me tenant par les bras. A chaque fois qu’ils me posaient par terre, je repartais en courant, faisant le tour du bâtiment de l’école, en direction de la rue, pour revenir à la voiture. Je me souviens très bien aujourd’hui encore de cette journée mémorable. Dans ma tête, je voyais ma nouvelle salle de classe comme une salle de torture où j’allai subir les pires sévices physiques et moraux. Je me rappelle avoir mis quelques semaines pour comprendre tout seul que si mon institutrice et instituteur (nous avions une personne différente le matin et l’après-midi) ne rigolaient pas beaucoup, ce n’étaient pas non plus les tortionnaires que ma famille m’avait promis.

   En décembre 1965 est née ma sœur Françoise.

 Cette année scolaire s’est passée somme toute pas trop mal, et je fus admis à renter au CE1 sans difficulté.

 

  Pour les grandes vacances qui ont suivi mon CP, mes parents m’ont laissé pour la première fois, pendant plus d’un mois, chez ma tante et mes oncles de Charente, à la ferme familiale de Barbezières. Ils venaient me voir quelques fois, afin d’éviter que la première séparation ne soit trop longue et pénible.

   Elle ne fut pas pénible du tout. Lorsque je les ai vu repartir sans moi vers Limoges, j’ai pleuré quelques instants dans la blouse de ma tante Marcelle, qui faisait de son mieux pour me consoler. Mais très rapidement, la liberté que j’avais dans cette vie à la campagne a enlevé toute larme de mes yeux. La liberté et l’espace ! J’étais le plus heureux des gamins dans cette vie paysanne. Je crois que ce qui me convenait, c’était avant tout le fait que les règles de vies étaient beaucoup moins strictes qu’à Limoges, plus « vraies », loin de ces grands principes que j’ai toujours haïs. Se salir dans les cours et dans les champs n’était pas un délit, mais une chose normale. Je pouvais crier, chanter, courir, travailler avec mes oncles. Le seul point noir de Barbezières, et qui m’a obligé d’en partir définitivement en 1991, était que j’y faisais de l’asthme allergique, uniquement à Barbezières, et ce problème de santé n’a jamais pu être résolu, ni par les médecins, ni par les spécialistes, ni par les guérisseurs, bref, problème insoluble. Je pense tout simplement que le bon Dieu ne voulait pas que je fasse ma vie là-bas. Je l’ai compris depuis. Si je n’avais pas été allergique à certaines choses à Barbezières, j’y serais toujours paysan et la musique aurait été une activité d’appoint dans les bals du weekend.

   A la ferme, on ne parlait que le « Patois charentais », le Saintongeais. C’est en fait un français très modifié, avec un accent proche parfois du Québécois. Effectivement, de nombreux charentais se sont exilés autrefois au Québec, et leur accent est bien teinté de « charentais ». Alors je parlais le charentais, couramment, et tous les jours pendant mes vacances. C’était super.. !

 

 C’est depuis cette époque que j’ai compris, inconsciemment, que le travail était une chose saine et valorisante. Si le critère de la réussite sociale a toujours été pour moi une valeur sans importance, je sais que cette façon de voir la vie est née à BARBEZIÈRES. Réussir sa vie pour être heureux est tellement plus important que réussir socialement DANS la vie. L’important était que ce travail de paysan me convenait par-dessus tout, peut importe son incidence sociale. Le fait de travailler avec mes oncles me plaisait. Je n’admettais pas qu’on recherche à m’inculquer que la vie d’agriculteur était presque un échec social. Pour moi, c’était le plus beau des métiers. (Je ne savais pas encore que musicien pût aussi être une profession). Je me foutais pas mal que l’on me traite de « paysan », moi, je prenais les gens de la ville pour des blaireaux en cravate, sans aucun intérêt, soucieux de leur apparence et du « qu’en dira-t-on ». Ma façon de voire ce genre de chose n’a jamais changé depuis.

 

    Ma tante Marcelle s’occupait des volailles, lapins, chèvres, ramassait les légumes dans le jardin, les fleurs. Mes oncles Jacques et Camille travaillaient dans les champs, s’occupaient du matériel agricole, basique à cette époque. Ma grand-mère Eva était comme toutes les personnes âgées de l’époque, vêtue de noir depuis le décès de mon grand-père Marcel. D’une santé fragile, asthmatique, et restait à la maison, s’occupant de faire la cuisine et le ménage.

   Mes oncles avaient déjà un tracteur, un Renault « essence », avec un moteur Frégate, 22 chevaux. Ils tournaient les roues sur elles-mêmes pour le rétrécir en position « vigneron » pour travailler dans les vignes, et le remettait en largeur normale pour les champs, augmentant ainsi la stabilité. Ils travaillaient encore pour certains travaux, avec des chevaux : Ponpon, percheron blanc avec quelques taches grises, et Papillon, percheron marron feu, un peu caractériel mais magnifique. A la mort de Ponpon, ils l’ont remplacé par un mulet noir, qu’ils n’ont pas gardé longtemps.

 

    Pendant ces vacances à la ferme familiale, j’allais tous les matins, et tous les soirs «au champ aux vaches », avec ma tante Marcelle, emportant dans un petit sac un casse-croûte avec du pain et du fromage, et une petite gourde en plastic dans laquelle ma tante me mettait de l’eau, avec un peu de vin de la ferme. Il était hors de question de boire de l’eau plate. Ce n’était certainement pas plus mauvais pour la santé que le Coca, les sodas et saloperies industrielles actuelles. En fonction du champ où nous allions, il y avait entre un kilomètre et un kilomètre et demi de route. En arrivant à la parcelle pour faire manger pendant deux heures environ les vaches et les chèvres, je m’asseyais dans la luzerne, et déballait ma collation, avec mes mains pas lavées qui avaient caressées le dos des vaches tout le long de la route. Les citadins actuels conditionnés par l’hygiène médiatico-sanitaire vont faire des bons.. !! Personne n’était malade. En attendant que ma tante reparte du champ pour rentrer à la ferme, je regardais le paysage, les vaches, les chèvres, le chien qui rassemblait les bêtes quand elles allaient essayer de manger la vigne ou le champ de blé du voisin, le ciel, les nuages….

   De retour à la ferme, je m’amusais dans la cour, avec des boites de conserves percées d’un petit trou, dans lesquelles je mettais de l’eau qui coulait dans une autre boite de conserve vide en dessous, ainsi de suite sur trois ou quatre étages. Je fabriquais aussi des cabanes dans la grange « à Naulin », avec des bottes de pailles, ou en mettant des piquets de vigne contre un mur, les recouvrant de vieux sacs d’engrais usagés, percés par le travail, en toile de jute. C’était aussi distrayant que des box fabriquées en Chine…et beaucoup plus sain.

   Le soir, à la fraiche, j’aidais ma tante à arroser ses fleurs, avant qu’elle n’aille faire « le pansage », c’est-à-dire s’occuper de ses volailles, donner à manger à ses lapins l’herbe fraîche qu’elle avait coupée le matin avec sa faucille, en gardant les vaches. Ensuite, elle allait traire les chèvres. Une quinzaine de chèvres réparties dans trois petites étables, dans lesquelles il fallait se pencher pour y entrer et y tenir debout. La traite se faisait à la main bien sûr. Si par hasard je me faisais gronder par ma tante, je lui répondais et le ton montait. Alors j’arrêtais de lui répondre. Pour me venger, j’allais me frotter tant que je pouvais contre le bouc qui lui, était attaché dans l’écurie des vaches. Aussitôt, je revenais biser ma tante Marcelle et me frotter contre elle….elle me disait : » Ah bornonsiou l’drôle, arrache te d’là, tu pus l’bouc…chéti drôle… !!! » et elle rigolait….

 

   Pendant ce temps-là, mon oncle Jacques s’occupait des vaches. Il y avait en moyenne une douzaine de vaches laitières, toutes de race normandes en 1966. Jacques commençait, matin et soir par « tirer » le fumier derrière les vaches, et l’enlevait avec la brouette jusqu’au tas de fumier, derrière la cour de la ferme. Ensuite il remettait un peu de paille propre et faisait la traite encore à la main, aidé de ma tante quand elle avait fini de s’occuper des chèvres. La traite terminée, il rajoutait de la paille, et leur donnait du « Garouille », maïs « en vert » coupé le matin- même. Puis mon oncle Camille versait dans la crèche de l’orge et de l’avoine concassée au moulin. Jacques finissait en mettant un peu de foin pour la nuit. Et on fermait la porte de l’étable pour aller manger. On ne regardait pas l’heure. A cette époque, on vivait avec le soleil. Tant qu’il ne se couchait pas, mes oncles travaillaient dans les champs et ma tante restait à garder les bêtes….Pour moi, c’était le Paradis.

 

Autant dire que lorsque mes parents sont venus me chercher à la ferme en septembre pour revenir à Limoges et préparer la rentrée scolaire….je n’en avais vraiment aucune envie. De plus, j’allais devoir reprendre des habitudes de vie moins détendues, mettre mes mains sur la table pour manger, pas les coudes, prendre ma serviette pour m’essuyer la bouche au lieu de le faire avec ma manche….être….sage….calme……obéissant….discipliné….avoir de bonnes notes en classes……bref…..je n’avais qu’un mot au fond de moi que je me gardais bien de dire à mes parents : « …fait chier… !!! ».

 

   La rentrée de Septembre en CE 1 s’est passée malgré tout sans aucun problème. Mais il a d’abord fallu que je fasse bien attention de reparler en français, et non pas en Charentais. Ma mère mettait bien quelques jours à faire reprendre ces bonnes habitudes à son petit paysan de Pierre…Je savais que Mademoiselle Maître (c’était son nom) était une personne calme, qui savait prendre les enfants avec patience et douceur, tout en sachant se faire respecter. J’ai eu des résultats scolaires plutôt bons au cours de mes deux années de CE1 et CE2 avec cette institutrice. Je savais alors lire couramment, et aussi résoudre les problèmes de calcul de la vie de tous les jours. Je m’aperçois qu’aujourd’hui, les méthodes d’enseignements se sont dégradées, au bout de la xième réforme et théories plus ou moins farfelues, car bons nombres de jeunes ados sont incapables de résoudre correctement un problème de               pourcentage ou rendre la monnaie.

    Ma mère était très proche de moi, très mère poule, un peu trop souvent à mon goût. J’ai toujours eu une envie de solitude, d’indépendance, de liberté de vie. Mais à huit ans ce n’est pas possible… !

    Elle veillait à ce que son fils ne manque de rien, soit habillé proprement, bien peigné, et qu’il ne parte jamais à l’école sans un goûter dans son cartable. Mais à la maison, la culture du résultat scolaire était primordiale. Je devais réussir, être dans les trois premiers de la classe, sinon il fallait me remonter les bretelles. Je pense que cela partait d’une bonne intention de leur part. En effet, mes parents étaient partis de chez eux mineurs, pour gagner leur vie et avancer petit à petit socialement, ils avaient dû trimer et en baver. Ils voulaient donc que je mette toutes les chances de mon côté, et pour cela les résultats scolaires étaient une chose prioritaire. Mon père rêvait d’être ingénieur mais la vie ne le lui a pas permis. Son fils devait être d’abord un intellectuel. Ma mère, qui était militaire, voyait déjà son fils polytechnicien ou saint-cyrien. Donc, leur fils devait devenir quelqu’un, réussir socialement, se faire une situation comme ils disaient. Souvent, le dimanche matin, mon père faisait ce qu’il appelait la revue de détail : il ouvrait le petit secrétaire qui me servait de bureau pour faire mes devoirs et apprendre mes leçons, et si par malheur il y avait un brin de pagaille dedans, mon papa balançait livres cahiers feuilles et crayons par terre, et sous mes cris et pleurs me disait : « tu me ranges tout ça et tu m’appelles quand c’est fini pour que je contrôle ». Ah… les beaux dimanches qui commençaient bien… ! Tous les enfants ne sont pas élevés avec les mêmes méthodes…

   Mais leur fils n’avait qu’une seule idée en tête : être heureux. Le bonheur est un point qui ne faisait hélas pas partie de l’éducation à l’époque…et même encore pour beaucoup de parents et d’enseignants. Mes parents devaient comprendre que leur fils, il était heureux à Barbezières, libre dans les champs au cul des vaches… !!! Et sans cravate.. !!!

 

    1967 – Le Père Noël me porte un deuxième accordéon jouet, rouge, à touches « piano ». Je joue les chansons des 33 tours de mon père, que j'aime : Tino Rossi, Line Renaud, Jean Ségurel, les succès de Vincent Scotto...etc. Nous n’avions toujours pas la télévision chez nous. Les repas se déroulaient en écoutant la radio. Le soir avant les informations, il y avait le hit-parade. Adamo était en tête du Hit-Parade avec « Inch’Allah » Johnny Hallyday, bref, les chanteurs de cette époque.… Et le début du rock‘n’roll. Mes parents assimilaient cette musique à un divertissement de voyous. Quelques jeunes de l’immeuble se retrouvaient le soir sous nos fenêtres du rez-de-chaussée avec leurs mobylettes, un peu stylés rockeurs. Cela exaspérait mon père qui un soir rempli un pichet d’eau et le leur balança sur la tête. Il a vite fermé la porte à clé….

 

    Hiver 1967 - 1968 – Devant mon engouement pour l'accordéon, mes parents m'inscrivent à l'école d'accordéon de La Brégère, à Limoges. J'en suis ravi, car l'école me prête un vrai accordéon chromatique, avec un son « musette ». Alors là ! Je joue « à l'oreille », mes chansons préférées, de Scotto, Tino, etc....Sous les ponts de Paris, Sur le plancher des vaches, etc. Mais il faut faire du solfège, la méthode (Médard Ferrero jaune), lire des partitions de chansons simples pour débutant qui me gonflent…. Alors deuxième échec...on arrête les cours, et je continue à jouer pour moi sur mon accordéon rouge à touches piano.

 

   Pendant ces années-là, je faisais des angines à répétitions. Le médecin de famille avait recommandé à ma mère d’aller trois étés à la suite, en vacances trois semaines en moyenne montagne, entre sept cents et mille mètres d’altitude. Chose faite par mes parents.

   En juillet 1968, nous partons trois semaines en vacances à Thiézac, petit village du Cantal sur la vallée de la Cère. Je découvre alors la montagne, émerveillé par ces sommets si hauts pour moi, et si beaux. Je n’ai qu’une envie, c’est de monter à pied le plus haut possible, épuisant parfois mes parents par mon énergie un peu trop forte… ! En tous cas, ce séjour se passe très bien mis à par le cahier de devoir de vacances à faire tous les matins... Mon cauchemar de l’été…Mais depuis ces premières vacances à la montagne, je n’ai plus fait aucune angine de ma vie. Comme quoi certains remèdes naturels sont efficaces.. !

 

   Au mois d’août, mes parents m’emmènent à Barbezières jusqu’au début septembre….. Retour à la ferme….. !!!  Et vive la liberté… !!! J’ai juste neuf ans. Je commence à avoir envie de travailler dans les champs avec mes oncles. Je les aide à bêcher les patates, je prends le « tire-cavaillon », une bêche à vigne à trois ou quatre grosses dents pour enlever le reste d’herbe que la charrue, le « décavaillonneur » a laissé sous le rang de vigne. Mes oncles sont réticents, me disant que c’est trop dur pour moi. Qu’importe, je prends mon rang et travaille comme eux.

   Pour le foin et paille, je les aide à aligner les bottes dans le champ. Je racle le fumier sous les vaches pour que mon oncle Jacques n’ai plus qu’à l’enlever.  Je ramasse les patates fin aout avec tout le monde dans les champs. On faisait plus de cinquante sacs de jute de patates. On en mangeait, et les cochons aussi. Bref…quand je suis en vacances à la ferme, je veux être un « vrai » paysan.. !

   Je découvre aussi que les filles de la campagne sont largement plus jolies que celle de la ville, et beaucoup plus simples…sans doute mon côté nature, et sensible à la beauté des choses….

 

  

 

 

 

 

 

LES COURS MOYENS

 

 

  Septembre 1968. Je changeais d’institutrice. Là encore, j’ai été mis en condition par mon entourage : « Tu vas voir, avec Madame Roby, tu vas filer droit, il va falloir que tu sois sage car elle est sévère…etc….Bref, le refrain habituel. Je commençais à me demander si c’était vraiment ça, la vie. Obéir toujours à des gens autoritaires, sérieux et grincheux….la culture du résultat, comme on dirait aujourd’hui… Heureusement, je me suis rendu compte assez rapidement que cette nouvelle institutrice n’était pas le monstre que ma famille m’avait décrit, et je m’y suis plutôt bien adapté.

  Je prends du plaisir à écouter souvent et longtemps les disques 33 tours de mes parents, accordéon, vieilles chansons, Sheila, Sydney Bechet, les Compagnons de la chanson, Georges Hulmer, Line Renaud...

   Ma mère s’est arrêtée de travailler. En effet, ma sœur qui avait à peine deux ans, allait la journée chez une gardienne dans notre immeuble. Suite à la mutation du mari de cette gardienne, ma mère a dû placer ma sœur la journée chez quelqu’un d’autre, , et il y a eu de gros problèmes d’adaptation avec cette nouvelle gardienne. Ma mère a donc décidé d’arrêter de travailler pour s’occuper de ma sœur. Pour moi, ce n’était pas spécialement une bonne nouvelle, car désormais, je n’avais plus de temps libre seul le soir entre le moment où je rentrais de l’école et celui où ma mère arrivait…Fini cette petite liberté…

 Au cours de ces deux années de cour moyen, j’allais découvrir à l’école, d’autres choses que le programme de l’éducation nationale. Mon meilleur copain, Bernard Mazeau, était loin d’être le meilleur élève de la classe (et moi non plus), mais il avait une passion : la moto. Son grand frère faisait des compétitions de moto-cross, et il m’en parlait tous les jours, me montrait des photos découpées dans Moto Revue. J’ai alors demandé à ma mère, de temps en temps, de m’acheter ce magazine dans lequel je découpais des photos de motos et me faisais un album d’images. Je rêvais, je rêvais beaucoup du jour où je pourrais en piloter une. J’emploie le verbe piloter, car pour moi, il était hors de question de conduire. Je voulais piloter, faire de la compétition.

   Cette passion naissante prenait trop de place dans ma tête pour que je me concentre correctement sur mes cours, et les résultats scolaires ont commencé à se détériorer, lentement mais sûrement, pour d’autres raisons de vie familiale aussi que je n’évoquerai pas ici, j’ai commencé à bégayer. Alors, comme un cliché bien standardisé, on a commencé à me dire que la moto, il fallait que j’arrête d’y penser, que c‘était des engins de voyou, et que ce n’est pas comme ça que je me ferai une « situation » plus tard. « Une situation ». Le mot de la langue française qui commençait à me sortir par les oreilles à chaque fois que je l‘entendais. Qu’est-ce que ça voulait dire « une situation » ? « Être casé… ?.. ..oufff… !!! » Avoir un métier dans un bureau avec une cravate, entouré de gens identiques, formatés, ennuyeux, à l’air tous plus importants les uns que les autres. Et on me disait en gros : « Plus tard, si tu travailles bien à l’école, tu seras comme eux, mon fils !! ». Dans ma tête je me disais « Non, je ne veux surtout pas être comme eux, tout mais pas ça… !!! » Un vrai cauchemar pour un enfant qui rêvait d’être paysan, libre au milieu de sa ferme et de ses champs ; peu importe le rang social et le « qu ‘en diront-ils ». Cela ne fait pas très bien de dire que son fils veut être paysan… Je m’en foutais complètement. Aujourd’hui, ma façon de voir les choses n’a pas changée. Si l’argent que j’ai gagné par mes différents métiers m’a toujours permis de manger et de nourrir ma famille, ce n’a jamais non plus été un but en soi. Certain disent que j’ai la chance de faire un métier que j’aime. Moi, je dis que j’ai décidé un jour, envers et contre les avis divers et les grands principes…de choisir ma vie, mon métier, ma façon d’être et ça, c’est important. Tant qu’il me permettra de vivre, je me considèrerais comme très heureux. Comme je le dis souvent, quand on est adulte, on doit le respect à ses parents, mais pas l’obéissance. Surtout pas… !!!  Les parents n’ont pas le droit d’imposer leur façon de voir la vie à leurs enfants !!! Les parents n’ont pas le droit non plus de demander, voir d’imposer à leurs enfants de changer leur façon de vivre…et réciproquement. C’est du harcèlement moral. Respect.. !!! La notoriété, l’argent s’il vient un jour ne sont pas des choses capitales pour moi. Le fait que des gens aiment la musique que je fais, cela me rend très heureux, car je me sens utile aux autres par mon travail. Je leur apporte quelque chose, un plaisir qu’ils ont besoin. Je suis content que mon métier soit utile aux autres ! Mais je refuse d’être considéré comme un personnage plus important que mon boulanger, qui lui aussi est utile à nous tous par son travail.

   Donc, mes résultats scolaires se dégradants lors des épreuves trimestrielles de « compositions », j’ai une trouille bleue de montrer mon cahier de notes de « composition » à mes parents. Et pourtant, ils doivent le signer…   Comment faire pour éviter ce problème…, Si jamais mes parents découvrent mes notes, ça va être Waterloo pour ma pomme… !! J’ai alors trouvé une solution. Lorsque mes parents n’étaient pas encore rentrés du travail, j’ai pris le livret de caisse d’épargne de ma mère sur lequel il y avait sa signature, je l’ai décalquée sur mon cahier de note, et repassé discrètement avec un stylo noir. L’institutrice n’y a vu que du feu. Mais le jour de la réunion parents-instits est arrivée…bien sûr… « les sanglots longs des violons de l’automne… » ouais… je redoutais le retour….et effectivement….j’ai eu droit au conseil de discipline…avertissement, revus de détail, baffes…etc…la totale…

  Vacances 1969. Nous partons avec mes parents pour la seconde année en vacances en moyenne montagne. Direction Saint Martial, petit village de l’Ardèche 700 m d’altitude, au pied du Mont Gerbier des Joncs (source de la Loire). Je découvre une nouvelle région, sauvage, que j’ai beaucoup aimée aussi. Cependant, chaque matin nous montions dans une petite clairière sur la route du Gerbier, et tant que ma sœur galopait, je me tapais ….mes devoirs de vacances…Maudit cahier de vacances. C’était la dernière année, ma mère a compris ensuite que cela ne servait à rien.

    Avec ma mère, nous sommes montés tous les deux au sommet du Mont Mézenc, point culminant de l’Ardèche. Mon père, moins porté sur la rando, gardait ma sœur en bas. Un beau souvenir. Ma grand-mère Angèle était venue nous rejoindre en train, et nous avons fini les vacances à cinq…tout le monde dans la 4L trois vitesses de mes parents. Et on était tous contents…Quel jeune couple aujourd’hui avec des enfants accepterait de partir avec ce genre de voiture en vacances à cinq. Quand je pense qu’il y en a qui ne veulent pas certaines marques car ça ne fait pas « bien »….Comme disaient mes oncles, ça leur ferait du bien de manger un peu de « vache enragée » … !

   Au mois d’août, direction Barbezières…Ouais.. !!!! Je retrouvais mes habitudes de paysan, de liberté. Et cette année, mes oncles avaient acheté un nouveau tracteur. Un Renault N 70 d’occasion (un peu comme un D 22 mais avec trois cylindres, pour les connaisseurs), révisé et repeint à neuf. Et surtout pour moi, ce tracteur avait un petit siège « passager » sur la roue arrière-gauche, où je pouvais m’assoir, à côté de mon oncle quand il roulait ou travaillait dans les champs. Il me prenait même parfois sur ses genoux pour me faire tenir le volant….j’allais avoir dix ans au mois d’aout.

    Mon petit vélo bleu était désormais trop petit, et j’empruntais celui de ma tante Marcelle, un vélo de femme avec des roues de 650. Si j’avais un peu de mal pour mettre le pied à terre, mes jambes étaient assez longues pour pédaler. Je roulais aussi vite que je pouvais, autant sur route qu’à travers champs et chemins forestiers. A la fin de l’été, le cadre de ce vélo, qui avait vécu la guerre, devenu un vélo de cross, a fini par céder sous les coups des chocs du terrain et de l’intrépidité de son nouveau « pilote ». Ma tante n’a jamais racheté d’autre bicyclette….

   C’est déjà la rentrée, retour sans motivation, et à reculons, à Limoges pour une nouvelle année scolaire. Le CM2. L’année prochaine, c’est la sixième….si tout va bien.. Je retrouve à peu près les mêmes têtes dans ma classe, et la même institutrice Madame Roby. Sans stress car je la connais maintenant, mais avec beaucoup d’ennui. Aller à l’école a toujours été une corvée pour moi, même si j’avais des facilités pour apprendre. Je ne voyais pas la nécessité d’apprendre certaines choses pour moi sans intérêt, comme des récitations, calculer le volume d’une baignoire qui se vide, au lieu de fermer le bouchon…etc. Je penserai la même chose au collège avec les pièces de théâtre classique….quel intérêt…… ? Que de temps perdu pour moi…

   Cette année de CM2 se passe donc sans trop de problème, avec des résultats plutôt très moyens…mais mes parents commencent à s’habituer à ce que je ne sois pas dans les premiers de la classe.  Il va falloir qu’ils s’y fassent. Une bonne chose pour moi…malgré tout, je suis accepté pour rentrer en sixième.

    Mon père en a marre de vivre dans ce vieux HLM du Vigenal, et mes parents envisagent d’acheter un appartement toujours à Limoges, dans un nouvel immeuble en construction boulevard de Vanteaux, presqu’en face du Lycée Renoir, qui allait être mon collège, et mon lycée jusqu’en seconde. Mais le temps de la construction, nous ne déménagerons dans ce nouvel appartement que pendant l’été 1971, pour mon entrée en cinquième..

   L’été 1970, nous partons, suivant toujours les conseils de notre médecin de famille, en vacances pour la troisième année consécutive en Auvergne. Retour dans la vallée de la Cère, dans un petit gîte à Saint Jacques des Blats, petit village à mille mètres d’altitude, sur la route du Lioran. Ce sont mes meilleurs souvenirs de ces trois années à la montagne. Nous avons fait plus de randos. Mon père avait acheté deux cannes à pêche, et nous pêchions tous les deux sur la Cère, prenant de temps en temps quelques truites. Le matin, nous montions en voiture sur une petite route, à l’ombre, et nous jouions aux cartes ou à la pétanque. Mais cette première année sans cahier de vacances était vraiment plus agréable que les précédentes. En juillet 1970, il y avait encore de la neige sur les contreforts du Puy Mary. Sur cette montagne mythique du Cantal, la piste en ciment pour monter à pied au sommet n’était pas encore réalisée, et nous y sommes montés avec mon père sur l’ancienne piste caillouteuse. Un exercice dont j’étais très fier… !

   Notre gîte se situait à droite à l’entrée de Saint Jacques, pas loin de la boucherie. Je me rappelle que ma mère y achetait de temps en temps un Rumsteak de vache Salers, vraiment délicieux. C’était autre chose que du taurillon de dix-huit moi élevé en batterie, qui te donne une viande juste rosée sans goût.

   De retour à Limoges fin juillet, nous prenons aussitôt la direction de Barbezières pour que je passe le mois d’août à la ferme de mes oncles. Cet été-là, mon père avait amené son vélo demi-course pour le laisser à Barbezières, et c’était super pour moi. Je le prenais pour me balader sur les routes et chemins autour du village, ou pour faire la course avec quelques copains, que je larguais généralement sans problème. J’avoue que j’avais une énergie redoutable sur un vélo, et je voulais en faire mon métier à l’époque…cela dura jusqu’à ce que j’enfourche une moto, à l’âge de seize ans.

   Je travaille de plus en plus fort avec mes oncles. J’avance plus vite qu’eux maintenant dans les rangs de vigne, pour tirer les cavaillons ou pour relever. Je monte les bottes de foin ou de paille sur la remorque…pas besoin de salle de muscu…

   Pour les moissons, mes oncles ont recours à l’entreprise d’un voisin, car ils n’ont qu’une petite surface de céréales. J’aimais bien faire un tour sur la moissonneuse-batteuse, les premières New Holland jaunes, à côté du conducteur. Il n’y avait pas encore de cabine, à l’air libre. Pendant la moisson, mes oncles ravitaillent en boisson les ouvriers qui conduisent la moissonneuse-batteuse et les remorques : Un grand bidon de lait rempli d’eau fraîche du puy de la ferme, avec des bouteilles de bière « Valstar » d’un litre, et des bouteilles de limonade. Plus une bouteille de vin blanc de la ferme, pour agrémenter la limonade….Bien moins nocif pour la santé que les sodas et divers Cocas.

   Mes oncles n’ayant pas encore de téléviseur, je vais voir de temps en temps quelques émission chez le voisin d’en face….mais pas trop souvent….les anciens n’aimaient pas que leur neveu fréquente des gens qui n’avaient pas les mêmes idées politique qu’eux… !!! Avec les anciens du village, Pépone et Don Camillo n’étaient jamais très loin….

   La trayeuse pour le lait a fait son apparition dans l’écurie des vaches, et les première bêtes de race « Frisonnes » aussi. Ces premières vaches noires et blanches, si elles produisaient plus de lait que les normandes, étaient aussi plus caractérielles. On devait mettre les « enfares », ustensile en acier servant à bloquer tant bien que mal les pattes arrière des vaches, pour éviter de prendre un coup de pied pendant la traite. Mais la normande à un lait plus riche, et à la réforme, présente un poids de carcasse supérieure à le Frisonne et Holstein.

   S’il n’y avait pas de télévision, on écoutait le poste de radio. J’écoutait les chansons à la mode, dans les années 67 -69. Martin Circus, les Charlots, Johnny, et toutes les vedettes de l’époque. Je chipais le transistor de la maison, pendant la « sieste obligatoire » pour tout le monde, pendant une heure, pour écouter le tour de France…les débuts d’Eddy Merckx, Raymond Poulidor, Roger Pingeon, Bernard Thévenet…

    Je pensais devenir paysan, coureur cycliste, mais la musique était encore bien loin. Je ne jouais d’aucun instrument de musique, même si j’aimais en écouter.

 

 

 

 

 

 

 

 

LES DEBUTS AU COLLEGE

 

   Comme les autres années, mes parents me ramènent à Limoges début septembre 1970, afin de préparer la rentrée qui à cette époque avait lieu aux environs du quinze. Mais cette rentrée est un peu spéciale. La construction de l’immeuble à Vanteaux avait pris du retard. Mes parents m’ayant inscrit en sixième au lycée Renoir, ils s’arrangeaient chaque matin, midi et soir, à m’amener et me ramener square d’Anjou, au Vigenal. Cela a duré toute au long de l’année de ma classe de sixième.

   Cette année scolaire ne s’est pas trop mal passée, exceptés les cours d’histoire-géographie. On avait comme prof une vieille demoiselle, une vraie, comme dans les livres, avec laquelle le courant ne passait pas du tout. Combien de fois ai-je été faussement malade les matins où nous avions cours d’histoire ou géographie. Je faisais aussi ma dernière année de catéchisme avec les aumôniers du lycée. Nous étions catholiques de tradition « comme tout le monde », c’est-à-dire qu’avec mes parents, nous allions à la messe pour les mariages et les baptêmes. Personnellement, j’ai été très jeune attiré par la foi, les textes des Evangiles. A la fin de ma sixième, en cinquième aussi, l’idée m’a parfois effleuré l’esprit de devenir prêtre, mais une condition était incompatible avec ma sensibilité : je trouvais que les filles étaient trop jolies pour être mises de côté tout au long de ma vie…impossible !!!

  Le souvenir le plus marquant de ma classe de sixième est un ennui profond. Je n’ai jamais aimé l’école, mais c’était de plus en plus évident. Je voulais rester à Barbezières, être paysan. Et pour cela, pas besoin de grandes mathématiques, de lire des pièces de théâtre classique, perte de temps s’il en est une. J’était tout à fait capable de travailler à la ferme avec mes oncles. Je ne voulais pas gagner beaucoup d’argent dans la vie, mais juste être heureux….Il n’y a pas de profs pour cette matière au collège….ni ailleurs.

   Je suis donc admis à rentrer en « cinquième ».

  Pour les vacances d’été de cette année 1971, mes parents me ramènent à Barbezières, pour mon plus grand plaisir, mais aussi par utilité. L’appartement de Vanteaux est terminé, et le déménagement doit se faire pendant l’été. Avant de partir en vacances, je me rappelle le dernier jour où je dormais square d’Anjou, au Vigenal. J’avais 11 ans, et je réalisais que la vie ne revient jamais en arrière. Je regardais le square, les barreaux verts du balcon, le soleil sur l’immeuble d’en face, la pelouse où on a tant joué au foot, aux cowboys, en me disant que c’était la dernière fois de ma vie que je passais une journée ici dans cet appartement. Demain ce sera fini, c’est une période de ma vie qui va être définitivement terminée. Je ne reviendrai jamais dans cet appartement.

 

  A Barbezières, je retrouve un copain bordelais de mon âge, qui vient en vacances chez sa vieille tante Hélène, à deux maisons de la ferme des André. Cette femme était un témoignage vivant de la vie d’une autre époque. Dans cette vieille maison, un simple rideau séparait la partie « chambre à coucher » de la pièce à vivre. Dans cette dernière, la lumière entrait par une petite fenêtre, à travers un mur en pierre d’un mètre d’épaisseur. On y était au frais dans les chaudes journées d’été. Il y faisait bon. Dans la cheminée, quelques cendres d’un feu éteint depuis plusieurs mois témoignaient que le chauffage était au bois. La cuisinière à bois, à côté de la cheminée, servait à faire la cuisine, et à chauffer la pièce en hiver. Les chevrons et les planches  du plafond sont noirs, noircis par la fumée de la cheminée et par le temps. Dans l’entrée de la pièce, un petit évier creusé dans la pierre, équipé d’un sceau d’eau et d’une cassotte, était là pour faire la vaisselle et la toilette. L’eau courante est un luxe que tante Hélène ne se permettait pas. Devant la maison, un petit jardin était cultivé et bien entretenu, avec quelques légumes de saison, et des fleurs. Près de la porte d’entrée, une pompe à bras était là pour fournir l’eau nécessaire à la vie de la maison.

   Avec mon copain bordelais, Bernard, on allait « aux champs » avec ma tante Marcelle, on faisait du vélo, on jouait au paysan, en accrochant une branche morte à notre vélo en guise de charrue.

    Bref, on s’occupait avec des choses simples, dehors. Les oncles nous emmenaient à la vigne pour « relever ». C’était tellement mieux que de regarder la télé. A cette époque-là, pas de portable ni d’ordinateur. Pour téléphoner, il fallait aller à l’épicerie du village, à travers les prés.

    Comme tous les ans, je « pique » le transistor des oncles pour écouter le tour de France. C’est l’époque de gloire d’Eddy Merckx, mon favori. Avec le vélo demi-course de mon père, je fais la course contre les autres copains du village, que je largue sans problème dans la côte de La Brousse ou du chemin vert. Je veux devenir coureur cycliste, devenir comme Eddy Merckx.

   Je ne pensais pas encore à la musique. Pour moi, apprendre l’accordéon était une affaire classée, trop compliqué de lire le solfège, langage barbare pour moi. J’écoutais pendant les vacances le hit-parade. Je ne me rappelle pas toutes les chansons de cette époque, mais j’étais plutôt attiré déjà par ce qui sonnait un peu Rock’n roll, Johnny, Martin Circus….Je n’écoutais plus d’accordéon. J’avais découvert aussi le répertoire de Luis Mariano que j’aimais beaucoup.

    Mais l’été, comme tous les ans, a une fin. Je sais qu’il va falloir que je rentre à Limoges, et j’ai de plus en plus de mal à comprendre pourquoi mes parents se sont installés en ville, au lieu de vivre à Barbezières, et être paysans. Le cauchemar de la rentrée allait revenir. Le mot de cauchemar est bien choisit. En effet, à cette époque de ma vie, je faisais souvent des cauchemars de « mal être », lorsque j’étais à Limoges. Pour plusieurs raisons que j’ai compris avec le temps, et sur lesquelles je préfère ne pas m’étendre ici.

   Je découvre alors notre nouvel appartement du boulevard de Vanteaux. Comparé au HLM du Vigenal, j’avais l’impression que les pièces étaient immenses. Sur la droite de l’appartement, il y avait la cuisine, avec son grand balcon sur lequel mon père avait fait son petit atelier ; la chambre de mes parents et celle de ma sœur. Sur la gauche, on entrait dans la salle à manger salon. La partie salon était prévue pour devenir ma chambre, mon père ayant installé un rideau « accordéon » rigide, que je fermais le soir pour être vraiment « dans ma chambre », et qu’on ouvrait le reste du temps pour agrandir la salle à manger. Dans cette « chambre », j’avais un petit lit « cosy » de quatre-vingt-dix, un petit bureau que m’avait offert mon parrain Georges pour ma communion, mon ancien meuble-secrétaire. La fenêtre donne sur le périph, mais cela ne m’empêche pas de dormir, même la fenêtre ouverte. Mes parents ont fixé quelques objets au mur, avec interdiction de rajouter, coller ou fixer quoi que ce soit….pour l’instant…

    Ma mère me dit d’écouter les disques dans la salle à manger, car l’acoustique y est très bonne. Chose vraie, et les disques de mon père y « sonnent bien ».

   La découverte de ce nouvel appartement atténue un peu la déception de quitter Barbezières.

 

 

MES ANNEES DE CINQUIEME ET QUATRIEME

 

   Je n’ai pas de grands souvenirs particuliers de ma rentrée en classe de cinquième. Le collège ne m’intéresse absolument pas. Je m’emmerde….royalement. Je me demande ce que je fou là.. !!!Mes parents mettent de plus en plus la pression sur la « culture du résultat ».   Je suis capable…je dois avoir de bonne notes….je dois être un modèle par rapport à mes profs. Alors je me bloque, me renferme. Je pense à la ferme, à Barbezières, à la vie de paysan. La VRAIE vie !!! Mes résultats sont très moyens. A chaque réunion parents-profs, j’ai droit à une remontée de bretelles. Je comprends vite que la seule solution pour faire face aux engueulades de mes parents, c’est d’attendre que ça passe. Comme un orage.

   Lorsque j’avais une mauvaise note en fin de semaine, je ne la disais à mes parents que la semaine suivante. Je tenais à passer un weekend tranquille.

   Ma mère avait récupéré son piano dans la maison de ma grand-mère Angèle, rue la Fontaine, à Limoges. Elle veut me faire faire la Méthode Rose, m’apprend les bons principes de doigté. Mais je me permets de « taper » dans le répertoire de Mozart, et à son insu, j’attaque l’étude de la Sonate Facile, qui ne l’est pas du tout. Je m’amuse sur le piano. C’est aussi pour cela que je suis plus à l’aise sur synthé à touche piano, que sur un synthé à touches accordéon.

  Cette année-là, je me passionne pour un feuilleton sur Johann Strauss qui passe à la télé. Je me mets alors devant le piano de ma mère et compose ma première chanson : une valse viennoise en trois parties. J'écris réellement les notes sur du papier musique, clé de sol et clé de fa…mais ça prend du temps compte tenu de mon faible niveau en solfège. En tout cas, ce fut la première fois de ma vie où l’envie et le plaisir de faire de la musique ont été plus fort que l’obligation menaçante de réussir au travail scolaire.… Et ce ne fut pas la dernière

 

   Mon père travaillant à la SNCF, je ne payais pas le train. Grace à cette facilité, lors des vacances scolaires de février, et Pâques, j’allais en autorail de Limoges à Luxé, où me oncle Jacques venait me chercher à la gare avec la 404 Peugeot. Ces « petites » vacances étaient une bouffée d’oxygène dans ma vie citadine.

 

   Ma rentée en classe de quatrième va marquer un tournant important dans ma vie. Pas au niveau scolaire. Je crois que la quatrième a été l’année scolaire où j’ai eu les pires résultats de ma vie scolaire.

   Depuis le balcon de la cuisine, on entendait souvent, de l’autre côté de la rue, des notes d’accordéon. Ma mère s’étant renseignée, c’était l’accordéoniste Roger PEYRIERAS qui habitait à cent mètres de chez nous. Il avait un orchestre de bals, réputé dans la région, et donnait des cours d’accordéon, avec une réputation de compétence bien méritée.

   Ma mère voit que cela me tente. Alors on négocie tous les deux un marché : mes parents me payent des cours hebdomadaires d’accordéon chez Roger PEYRIERAS, à condition que je le fasse sérieusement, en travaillant le solfège, la théorie de la musique, la méthode, et tout ce que Roger me donnera à faire. Je dis OK.

   Mon oncle Max me prête son accordéon, un Paolo Soprani rouge, avec cinq registres différents, un deux voies musette et une voie grave.

   Lors du premier contact avec Roger, le courant passe bien. Il joue quelques morceaux musette avec l’accordéon de mon oncle, et j’en suis ravi. J’ai envie. Tout simplement envie. Le secret de toute chose dans la vie, le secret de toute réussite. L’envie !!!

   Tant et si bien que non seulement je fais le travail que Roger me donne pour la semaine suivante, mais le lendemain du cours, tout est fait et sû !!! Je commence par jouer « Carnaval de Venise », puis « Plaisir des bois », les classiques du débutant. C’est vite « plié » car je me rends compte que j’ai des facilités, et je joue beaucoup à la maison. Je m’enferme dans la chambre de mes parents, y passant de nombreuses heures. Mes parents ne me demandent pas si j’ai travaillé mes cours de musique, mais….si j’ai fait mes devoirs de classe… !!!

   Au bout de quatre semaines, j’achète avec mon argent de poche la partition de « Accordéon Musette » au magasin « Les 100 000 chansons » à Limoges. Je commence à le bosser en attendant mon prochain cours d’accordéon. J’arrive tout content de moi chez Roger la semaine suivante avec ma partition de « Accordéon Musette ». Il m’arrête, et prend cette partition pour m’y écrire un doigté correct. Il me fait avancer rapidement Roger, voyant que je travaille très vite et avec passion. En deux semaine, je joue la chanson entière.

   Je commence à me dire que musicien peut être un métier. Pourquoi pas ? Mes parents s’en rendent compte, et me « raisonnent » comme quoi ce n’est pas un métier sérieux, un « vrai » métier comme disent (et pensent toujours aujourd’hui les gens « biens »). Mon père me dit que les accordéonistes qui « font » les bals sont des personnes qui dépensent leur argent à faire la fête, boire, bref…pas des personnes sérieuses. Mon père veut un fils matheux, ingénieur ou chef haut placé. Il avait envie de dire »mon fils il a fait ça. Il a une situation élevée.. » Pas un balochard…

    En dehors du travail que me donne Roger PEYRIERAS, j’écoute beaucoup les disques de Jean SEGUREL. Pour moi, c’est le style que j’aime, que j’entends depuis que je suis né. C’est la musique de la nature, de la campagne, des paysans, du folklore, du bal musette, le vrai. Roger me détourne de ce genre de musique. Il est plus « classique » Roger ! Il me parle de Tony Murena, André Astier…etc…Alors je joue, petit à petit, « à l’oreille », en dehors de mes cours ; les chansons de Jean Ségurel, pour le plaisir : Oh Maria, Les fiancés d’Auvergne, les coiffes blanches, java des routiers, le moulin de Chaumeil, Ballade en Auvergne…etc…

 

  Au conseil de classe de fin d’année, je suis admis de justesse à rentrer en classe de troisième, juste juste…avec un gros avertissement de mes parents qui m’avertissent qu’à la rentrée c’est la troisième, avec le BEPC, le Brevet, à la clé. Cause toujours papa maman, pour l’instant c’est les vacances.

    Mes parents ont prévu en juillet de partir deux semaines en vacances à Nice. Nous y allons donc en train, compte tenu que nous ne payions pas ce mode de transport. Ils avaient retenu dans un petit hôtel de la vieille ville, en pension complète. En 1973, ce genre de solution de vacances était encore à prix très raisonnable. Nous n’étions pas très loin de la promenade des anglais, et donc de la plage. Je découvrais la Méditerranée, magnifique, mais la plage de galet m’a beaucoup déçu, moi qui étais habitué au sable de l’île d’Oléron.

   De retour à Limoges, mes parents me conduisent à Barbezières, comme les autres années. J’y emporte mon accordéon, mais je n’y touche pas beaucoup, sinon pour jouer du « Ségurel ».

   J’écoute avec le transistor de mes oncles le Hit-parade. Johnny, Sylvie Vartan, Michèle Torr, Michel Sardou, des groupes de rock anglais…. Et le tour de France.

   Mon oncle Camille me met au travail avec eux assez souvent, la vigne, le foin, la paille, enlever le fumier des chèvres, bécher le jardin et…les betteraves. Mes oncles cultivaient environ un demi-hectare de betteraves, semées en ligne avec le semoir à maïs. Il fallait les éclaircir en même temps que nous les bêchions. De longues journées d’été passées à travailler au soleil, en pleine chaleur. J’avais à cœur de bosser comme un « vrai paysan ». Au village, travailler et être courageux était une qualité, presque un honneur. Ils n’aimaient pas les fainéants les tontons !

   Quelques copines de mon âge commençaient aussi à me faire voir la vie sous un autre aspect…

 

   Retour fin aout à Limoges, c’est de nouveau le blues au fond de moi. Et pourtant……

   Je pense qu’effectivement, je devrais choisir une orientation en fin d’année. Au fond de moi, je pensais que j’aimerais entrer dans un lycée agricole. Mais les profs à l’époque ne juraient que par les bacs généraux. Tout ce qui est enseignement professionnel, agricole, musical, est considéré comme « inférieur ». On nous inculque qu’entrer dans ce genre de classe serait un échec. Mes parents pensent la même chose, surtout mon père, qui veut que son fils soit un « intellectuel ».

 

 

 

 

 

 

 

 

1973 - MON ANNEE DE TROISIEME

 

 

 

   Bien entendu, lors de cette rentrée en classe de troisième, je reçois les consignes habituelles de la part de mes parents : « Attention, c’est une année difficile (comme d’habitude…) il y a le BEPC à la fin de l’année, l’orientation. Il te faut de bons résultats….bla bla bla…..)

 

  Et là, un miracle s’est produit. Nous avons eu une prof de maths dont je ne me rappelle pas le nom (3ème-4 en 1973 au lycée Renoir), et qui a su me donner l’envie de faire des maths. Dès le début de l’année scolaire, je suis premier de la classe en maths, largement en tête devant le second. L’élève largué des autres années était devenu l’Eddy Merckx de la classe en maths.. !! Les équations à résoudre à une ou deux inconnues, la géométrie, trigonométrie, etc… sont devenues un jeu, comme des mots croisés pour ceux qui aiment ça. !!!Je terminé mes exercices en TP en deux temps trois mouvements, et j’aidais les autres avec l’accord de la prof à faire les leurs. Le jours du Brevet, l’épreuve écrite de math était prévue en deux heures. Au bout d’une heure, j’avais terminé, relu, re-relu….et sorti avec le sourire… ! Je savais que tout était juste. J’avais quand même dû attendre une heure de plus mon pote, pour renter ensemble en bus…

 

   Côté accordéon, Roger PEYRIERAS était arrivé, en deux années de cours, à me faire jouer « Les Triolets » et « Perles de Crystal ». J’ai réalisé avec le temps que j’aurais peut-être dû continuer les cours, car jouer ces deux titres au bout de deux années de cours, c’est très rare. Cela prouvait que j’avais vraiment de grandes facilités musicales. Je transposais à l’oreille n’importe quelle chanson, en fonction de la sonorité de la gamme. Je lisais un morceau en fa et le jouais directement en La par exemple.

   Mais l’évolution de mes goûts musicaux a fait que le Rock’n Roll commençait sérieusement à rentrer dans ma vie et dans ma tête. D’un autre côté, Roger PEYRIERAS m’orientait de plus en plus vers la musique classique, ce qui n’était pas compatible avec ma sensibilité, mes goûts musicaux. J’ai aussi commencé à comprendre que de nombreux musiciens accordéonistes classique et jazz ont ce sentiment de supériorité qui m’agace toujours aujourd’hui. Le folklore a autant de valeur que des styles, certes techniquement complexe, mais pourquoi ce besoin de se gonfler l’égo comme la grenouille qui veut se croire plus grosse que le bœuf. !!

    J’ai donc demandé à mes parents de changer d’instrument et d’apprendre la guitare. J’avais découvert des groupes tels STATUS QUO, les ROLLING STONES, du chouette qui bouge.. !!! Mes parents m’ont donc acheté pour commencer une guitare classique, corde nylon. J’étais content. Ma mère m’a dit que Roger donnait aussi des cours de guitare et qu’il pourrait m’apprendre. Je lui dis d’accord…avec un petit doute… Mon doute était justifié. Roger commence par me faire jouer « Jeux Interdits »….Bon….je l’ai joué….Entre temps, j’avais acheté une petite méthode toute simple, avec la position de accords. Connaissant l’utilisation des accords par l’accordéon, leur composition, les rythmes, j’ai rapidement accompagné des chansons musette et variété avec des rythmes simples, mais justes et en place. Roger à voulu me faire faire un autre morceau de musique classique. Ce fût la chanson de trop.. !!!

    A la fin juin 1974, j’ai dit à mes parents que maintenant, je perdais mon temps à prendre des cours qui ne m’intéressaient plus, et qu’eux dépensaient de l’argent pour rien désormais.

   J’ai alors mis mon accordéon dans sa boite, pour une durée de onze ans. !!! Sans y retoucher du tout pendant ces onze années.

 

   Durant cette année de troisième, j’ai aussi eu de bons copains, et des copines sympas. L’ambiance de notre classe était super et tout se passait bien. Que de bons souvenirs. Compte tenu de mes bons résultats, j’ai été orienté en seconde C, c’est-à-dire maths et science, la meilleure référence à l’époque….Hélas….

   Eté 1974. Ces vacances seront ponctuées de bons moments, et d’évènements plus tristes. En juillet, nous partons en vacances avec mes parents, mon oncle Max, Nicole, sa femme, la sœur de ma mère et leurs enfants, à La Rémigeasse, sur l’île d’Oléron. Un mois en location commune, dans un grand gîte prévu pour deux familles. La plage n’est qu’à trois cents mètres. Lors des marées basses, je vais à la pêche à pied avec mon père et Max, sur les rochers découverts de La Perroche, La Biroire, La Menounière, Chaucre ou Chassiron. A marée haute et montante, c’était la baignade, sur la plage de La Rémigeasse. Mon père avait mis mon vélo de course sur le toi de la Renault 16. Souvent, je me levais le premier le matin, vers sept heures. Je déjeunais bien et rapidement, et partais sur les routes de l’île me balader. Généralement, depuis La Rémigeasse, je prenais la route de Dolus, puis direction Boyardville. Là, je passais à par de toutes petites routes à travers les marais et parcs à huitres, en direction de Saint Pierre, puis la Cotinière et retour à la Rémigeasse. Un matin, je me suis trompé dans les marais, je roulais confiant et tranquille, par grand beau temps. Et tout à coup, je vois le panneau d’agglomération : « St Denis d’Oléron » …Plus que 20 km…Je les ai fait à fond la caisse, la tête dans le guidon, car je me doutais que mes parents allaient s’inquiéter. Un bon souvenir ces vacances-là…

 

   Au mois d’Aout, mes parents me « posent » à Barbezières, en rentrant sur Limoges. Je retrouve les copains et copines du village. On va entre jeunes « aux champs » où l’on gardait les vaches. Dans toutes les familles du village, on savait qui gardait ses vaches et à quel endroit. On s’y retrouvait, avec le transistor, pour écouter les chansons de l’été. J’étais moins présent pour travailler sur la ferme, mes oncles me laissaient aussi prendre un peu de temps avec les jeunes de mon âge. J’aidais pour les gros travaux, la paille, toute pressée en bottes moyenne densité, rentrées à l’huile de coude ; le regain, le fumier à épandre dans les champs avec la fourche fonctionnant aussi à l’huile de coude.. !!!    Courant Août, ma grand-mère Eva, qui avait fait une première attaque en Juillet, décède. Dès lors, l’ambiance à la ferme change radicalement. Je reste jusqu’à la fin août malgré tout. Ma tante Marcelle doit faire, en plus de son travail à la ferme, le travail de la maison (ménage, cuisine, etc…)

 

  Et là…là….je rentre en seconde C……C comme….. Oh non… !!!...avec un C comme….Bobos BCBG…..je vais m’y emmerder… !!! mais m’y emmerder…. !!!!

 

 

 

 

MA PREMIERE SECONDE…C

 

 

 

 

   Je dis bien ma première seconde. En effet, je vais volontairement redoubler cette seconde C…

   J’ai terminé en juin mon année de troisième en tête de la classe en maths….haut la main. Quand j’avais 15/20, c’était pour moi une mauvaise note…Les choses vont bien changer pendant cette année de seconde C.

   Je rentre au lycée Renoir avec une grosse pression mentale. Les profs comme la famille te conditionne. On te dit que tu fais partie des « meilleurs », de l’élite, les futurs cadres de la nation. La sélection par les maths….quelle connerie… !!!! On te rappelle que maintenant, « tous les élèves de ta classe sont des « matheux », il faut que tu sois encore et toujours dans les meilleurs….. Eh merde…. !!!!!! Je n’avais pas envie cette année-là d’être dans les meilleurs. Je continue de découvrir le Rock’n roll, les chanteurs « à textes », Brassens, Maxime Le Forestier, Jean Ferrat….etc. Tous ces styles, plus mes propres réflexions me font devenir un « Rebel ». un rocker, poète marginal. Je m’intéresse aussi depuis l’âge de 13 ans à la politique, Je suis un fervent contestataire, remettant en cause la société et ses principes BCBG, le mode de vie « boulot-dodo-boulot-dodo-retraite-maison-voiture…etc ». Tout ce qui me fait toujours penser la même chose sur le même sujet aujourd’hui encore. J’adore le comportement provoc des Rolling Stones, fringués à l’inverse des standards des gens bien, les gens « classe ». Pour moi, ce sont des personnes en dehors des vraies valeurs, des inconsistants, des « m’as-tu vu de bas étage ». Les gosses de riches, mais surtout, et encore pire, ceux qui ne le sont pas mais qui veulent le paraître…une variété de cons….

 

   Je commence aussi à me demander ce que je vais faire dans ma vie avec autant de maths… Mes parents, mes profs essayent de me « formater » pour travailler et avoir « une situation ». Avoir une situation. Combien de fois ai-je entendu cette expression, qui me gonflait. Je n’ai jamais voulu « me faire une situation », juste vivre heureux, à la campagne, avec un boulot qui me plaise. Je continuais de travailler ma guitare, et chantonner du Brassens, Yves Duteil, Maxime le Forestier, et mes premières idées de compos.

   L’ambiance de la classe n’est pas désagréable, mais ne me correspond pas. La plupart des autres élèves pensent à leur avenir, leur future « situation ». Ils se voient déjà avec un bon métier, mariés, des gosses, le petit pavillon, la voiture, pas trop loin de leurs parents, la sécurité de l’emploi…jusqu’à la retraite. Mon cauchemar à 15 ans… !!!  Moi, j’écoute Johnny, je regarde ses images, sur sa moto, traversant les Etats Unis, l’aventurier, « La terre Promise », « Bobbie Mac Gee ». J’aime regarder les westerns, je rêve de partir à l’aventure avec un vieux chariot de pionnier. J’aimais mes parents, mais je voulais surtout quitter le domicile familiale, vivre par moi-même, seul, comme ce vieux cowboy de Lucky Luke…

   Autant te dire que mes notes ont du mal à décoller au-dessus de la moyenne. Mes parents doivent se rendre à l’évidence. Je peux faire mieux, mais je n’en ai pas envie. Tu piges ? Pas envie du tout…Alors au moi de février 1975, il est convenu que je vais redoubler, mais pas en seconde C dans un lycée général. Je veux aller au lycée Turgot, lycée Technique. Je m’intéresse aussi de plus en plus à la moto. Je vais rentrer l’année prochaine en seconde T, avec du dessin technique, atelier de fabrication mécanique…Qu’est-ce que tu fais quand tu sais que tu vas redoubler en fin d’année scolaire… ?  Ben oui….Rien…Avec un pote de classe dans le même cas, on va en classe, mais en touristes. Je me rappelle un jour de printemps, être arrivé ensemble en cours de maths (la prof était une vieille fille, comme autrefois…) avec les Rayban « polaroïd » de rocker, le blouson noir, la banane, les santiags. On arrive en retard, avec le café à la main….le temps de passer à la machine à café pour prendre notre café et le déguster tranquillement pendant le cours de maths. On sort Motorevue de notre cartable, et on regarde les nouveaux modèles, les résultats des grands prix, le temps que les autres sont à fond dans les équations à deux inconnues. En maths, il y avait bien plus de deux inconnues pour nous. On s’en fautait carrément, et la prof aussi. Elle en avait pris sont parti et ne nous disait plus rien. Cependant, on était calmes, et n’empêchions pas les autres élèves de travailler. 

  Entre copains, on se prêtait les disques. C’est comme ça que je découvre encore d’autres vrais Rock’n roll de Johnny, « Oh Carole », « Johnny B Good », …etc. Status Quo tourne aussi en boucle. L’accordéon est dans sa boite, dans mon armoire, un peu comme une relique. Je le ressors parfois pour quelques repas de famille, où je joue en fin de repas, entre le fromage, les discussions politiques et le dessert, des chansons bien de chez nous. Mon oncle Max battait la mesure avec sa cuillère ou sa fourchette. De bons souvenirs.

 

   Depuis longtemps, je voulais une mobylette, je rêvait d’un Gitane testi ou d’une Malagutti. Mon père, sachant que j’étais déjà « fracasse » sur un vélo, m’avait dit que j’aurait un 50, mais à 16 ans seulement. On avait fait un « marché » que dans ce cas, je choisissais le 50 que je voulais, quitte à l’acheter d’occasion s’il était trop cher neuf. Mon père a dit OK.

   J’ai donc dit à mon père que lors de mon anniversaire de 16 ans, au mois d’aout, j’avais envie d’un 50 Kreidler, mais comme il avait des repose-pieds au lieu des pédales, il fallait que je passe le code pour avoir le permis A1. Il est d’accord sur le principe. Le fait que je passe le code est une bonne chose pour lui. Je me suis bien gardé de lui dire que s’il fallait le permis moto A1, c’est aussi parce qu’il a une vitesse de pointe de 120 km/h, et non pas limité à 45 km/h comme une Mob. Kreidler était la marque de moto championne du monde de vitesse sur piste en 50 cc dans les années 70. On a trouvé un Kreidler d’occasion à Tours, par les petites annonces de la revue Motorevue. Et nous sommes allés le chercher au mois de Mai.  Dur de ne pas le conduire avant d’avoir 16 ans et le permis. Je m’y faisais la main en attendant dans les allées de la citée et le parking sous-terrain de l’immeuble.

 

   Moto, guitare et Rock’n roll, il ne manquait plus que la cigarette. A partir de la fin Mai, on descend avec des copains de la citée Vanteaux, voir d’autres potes de la citéevoisine, Bellevue, en dessous du lycée Renoir, à pied bien sûr. Il y avait souvent des fêtes là-bas en cette saison, des animations en plein air. On s’asseyait sur les pelouses. Certains sortaient le paquet de Gauloises. Ils m’en offraient, je les fumais. C’était une chose normale à l’époque. Pas de Rock’n roll sans cigarette… !!! Alors là, mon père a eu une réaction à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Je fumais en cachette bien sûr. Il avait bien dû sentir, lorsque je rentrais à l’appartement que je sentais le tabac. Il ne m’a rien dit, ne m’a pas engeulé. Un jour, je rentre du lycée, et je trouve un paquet de Gauloises posé sur mon petit bureau, dans ma chambre. Surpris, je lui dis : « C’est quoi …ça… ? l’air pas trop fier de moi….Il m’a dit : « Je préfère que tu fumes aussi devant nous, que ce soit clair, au lieu de fumer en cachette ». J’ai apprécié, franchement. Et j’ai fumé tranquillement depuis ce jour, plus ou moins, jusqu’à l’âge de 27 ans.

 

   L’été arrivant, je repars à Barbezières, impatient de retrouver les copains et copines, de Barbezières et aussi d’autres qui comme moi, avaient de la famille au village et y venaient en vacances.

   L’accordéon était resté à Limoges, et ne me manquait pas du tout. On se retrouvaient avec des copains et copines de Paris, en vacances aussi dans leur famille à Barbezières, dans la vieille cuisine désaffectée d’un de leur oncle, (ainsi que d’autres copines de leur famille). On joue au tarot, en fumant nos premières cigarettes, et en écoutant des vinyles de Rock’n Roll de Johnny, Sardou. On s’apprenait un peu à danser le rock et le twist. Là, on écoute le disque de Johnny « La Terre Promise », et je craque pour une chanson de cet album qui m’a fait tomber amoureux de la vraie country-music « L’histoire de Bobbie Mac Gee ». Depuis, j’ai découvert les versions américaines, (Me and Bobbie Mac Gee) très variées et superbes.

   Ces mêmes copains m’offrent pour mon anniversaire le disque de Johnny « Rock à Memphis », enregistré bien entendu à Memphis Tennessee, avec quelques anciens musiciens d’Elvis Presley. Une perle pour moi qui était devenu en peu de temps un mordu de cette musique, par son message de liberté, qui bousculait les grands principes, les gens coincés dans beaucoup de domaines. Une musique rebelle et non BCBG, que j’aime toujours autant, et pour les mêmes raisons. Je l’ai quasiment usé.

   Je rentre à Limoges chez mes parents avec encore plus de regrets que d’habitude. On laisse les potes qui repartent aussi chez eux. Des liens se sont créés. Des souvenirs aussi. On rentre tous avec le blues dans la gorge.

   Mais je rentre aussi fin aout avec une grosse envie : je passe mon permis A1 pour pouvoir conduire mon Kreidler.

 

 

 

 

1975 – LYCEE TURGOT – Une autre vie  

 

   Avant la rentrée, je passe donc mon permis A1, c’est-à-dire le code. Je suis reçu, et dès mon retour du centre de permis de conduire, j’enfourche la moto, et c’est parti….Je pense que ma mère était assez inquiète de me voir partir en bécane, même si elle ne me le disait pas. Elle me connaissait bien, et savait que son fils, ayant l’esprit de compétition sur un vélo, l’avait très certainement sur une moto…et elle avait raison de le penser.

Je prends la route de Périgueux, puis la route de Solignac, afin de me familiariser avec les virages de notre beau Limousin. Le pied.. !!! Le Kreidler tient très bien la route avec sa suspension hydraulique, chose rare à l’époque pour un 50 cc. De temps en temps, je sens que les repose-pieds frisent le bitume quand je penche dans les virages, et au bout de quelques jours de route, la barre tubulaire des repose-pieds se dessoude. Mon père la fait ressouder.  Quelques temps après….même problème….. Puis encore une troisième fois. Mon père m’averti que s’ils se dessoudent encore une fois, il ne me les fait pas ressouder. Ok papa !!! J’ai compris le message, et je lui promets que cela ne se renouvellera plus. Effectivement, dès que le paternel a eu le dos tourné, j’ai retiré les manchons en caoutchouc des repose-pieds, j’ai raccourci la barre tubulaire qui les supportait de 5 cm, remonté les manchons en caoutchouc…Les repose-pieds de ma moto n’ont plus jamais frotté le bitume….. Mais ma mère a fait ressemeler mes bottes assez souvent.

Le route de l’aiguille à Solignac était mon terrain de jeu en moto. Une fois, un pote qui avait une 125 Honda est venu en balade avec moi. De Limoges à Solignac, il ne m’a pas largué. S’il me distançait un peu en ligne droite, car il avait une puissance supérieure avec une 125, je rattrapais mon retard dans les virages, car j’attaquais comme un malade, le genou étant parfois près de la route….

    La rentrée a lieu comme d’habitude vers le 15 septembre. Pour une fois, je suis content de rentrer à Turgot. Curieux d’abord. Mes impressions ne sont pas déçues. Fini les lycéen fiers et bêcheurs, les petits minets, ceux qui se prennent pour les septièmes merveilles du monde parce qu’ils sont bons en maths. Les autres élèves sont comme moi, simples, détendus. Seul point faible dans ce lycée technique : il doit y avoir une fille pour 100 mecs….pas le top pour draguer… !!!!!

   Les profs sont dans le même état d’esprit : simples et…directs. Je me souviens de ce prof de tournage qui a failli me mettre son pied au cul parce que je n’avais pas mis ma casquette sur la tête. Bref, cette année se présente plutôt bien, dans une bonne ambiance Mes résultats sont très corrects, bien qu’étant alors très Rock’n roll. Ma tenue au lycée : Blouson noir, bottes de moto style « santiag » avec le bout doré, jean, et….cigarettes….Des gauloises ou des Gitanes, pas de blondes, classées à l’époque comme cigarettes de « gonzesses ». Un mec ça fume des brunes.. ! Le censeur du lycée était super. Il sortait le matin quand les élèves arrivaient, la plupart avec une mobylette ou une petite moto. Il sortait dans la cour pour parler avec nous, de choses et d’autres. Pas de nos études ni de nos résultats. On parlait moto, foot, des choses la vie. C’était une autre époque, plus près de la réalité de la vie. Pour les internes et ceux qui mangeaient le midi à la cantine, il y avait sur les tables, du pain, à couper soi-même, de l’eau et du vin rouge. Pas de coca ou de soda. Et tout le monde se portait bien, travaillant dans une bonne ambiance. Aujourd’hui ce ne serait pas possible. Tout est pesé maintenant, mesuré, étudié, il ne faut pas manger de ci, de ça, boire plus de ça, surtout pas de vin….mon Dieu.. !!!! bandes de cons actuels, qui, avec vos théories, vos mesures d’hygiènes, de règles, d’interdits, êtes arrivés à faire reculer l’espérance de vie.

  Entre deux cours quand nous avons des heures d’études, on avait sortie libre. Direction le « St Eloi », le bar à cinquante mètres du lycée, en montant en direction de la place des Carmes. Notre « Annexe de Turgot ». On s’y retrouvait, autour d’un flipper ou d’un baby-foot, avec une « bonne pression ». Franchement, ça détend avant un cours d’anglais.

   J’aime même faire mes devoirs à la maison. Je me suis créé mon monde dans ma chambre, avec aux murs, les posters des Rolling Stones, de motos. J’écoute Brassens, Le Forestier, Les Ramones, en faisant mes devoirs et en fumant mes « Goldos ». Tout va bien. Je décide d’arrêter le judo, à l’ASPTT LIMOGES. Je suis arrivé aux portes de la ceinture bleue, mais l’étude des Kata me lasse. Les entrainements, Tori et Uke. Dix chutes pour moi, et on inverse avec le partenaire, dix chutes pour lui. J’en ai mare de tomber. Je suis plus attiré par le Karaté, plus efficace, moins de chutes, mais ce sera pour un peu plus tard. Pour le moment, c’est juste « moto », copains et Rock’n roll.

   Côté musique, je bosse la guitare sur ma petite classique. Je n’accroche pas trop encore les solos, mais suis plus porté sur les plans rythmiques. J’écoute beaucoup les façons de jouer de Keith Richards, Status Quo, les arpèges des slows années 71. Ma mère a fait preuve parfois de beaucoup de patience avec moi, supportant mes vinyles que je passe très fort pour jouer en même temps avec ma guitare. Je me penche aussi sur les harmonies de Brassens, que j’aime bien jouer, en chantant ses chansons, le plus anti conformistes possible. Je suis de plus en plus contestataire, rebêle à la société, non conformiste, ce qui n’est pas sans provoquer quelques conflits verbaux avec mon père, très conventionnel, et ma mère, ancienne militaire et à cheval sur les principes. Ils ont pourtant fait matériellement tout ce qu’ils pouvaient pour moi, mais notre désaccord portait sur ma vision de la vie, et ce désaccord a toujours existé. Mais je remercie mes parents qui m’ont toujours accordé le droit de ne pas être de leur avis, ainsi que ce lui de m’exprimer. Et je l’ai fait largement, avec mes arguments de l’époque, qui sont toujours très proches de mes idées et principes actuels dans les grandes lignes. Tous les parents n’acceptent pas que leurs enfants n’aient pas la même vision des choses qu’eux.  

  La fin de l’année arrivant, la question de l’orientation se pose. Plusieurs classes de premières techniques me sont proposées, mais mon niveau en maths me permet de postuler à la première E (aujourd’hui S +Techno atelier. J’avais envie d’aller en F1, c’est-à-dire construction mécanique. Mais un évènement va me décider à prendre une autre décision. Un soir, une discussion sur le métier que j’aimerai, ma façon de voir les choses tourne au conflit avec mon père, qui me rabaisse et me dis que je ne suis bon qu’à « pousser la lime » comme il disait. Et je me rappelle très bien lui avoir répondu : « OK ! c’est comme ça ? tu ne me crois pas capable… ? Eh bien je vais m’orienter en E, mais en plus j’aurai mon Bac.. !!! » Le soir dans mon lit, je me suis demandé si je n’avais pas présumé de mes capacités. Le bac E était réputé comme étant le plus difficile. Mais j’avais envie de relever ce défi, alors je suis rentré en première E.. !!!  Et voilà comment je me suis retrouvé en première E. Franchement, si c’était à refaire, je commencerai par me renseigner comment être musicien professionnel. Mais à l’époque (et même encore de nos jours), si tu dis que tu veux être musicien, la plupart des profs et des parents te répondent que…ce n’est pas un « vrai » métier…Ah les cons sublimes, con-ditionnés et diplômés….(oui j’ai beaucoup lu San Antonio… !!) Est-ce qu’un jour un prof va dire à ses élèves : « si vous aimez jouer de la musique, chanter, ou faire du théâtre, vous pouvez prétendre au statut d’intermittent du spectacle ? Pas un… !!!! Et le prof principal : « Passe ton bac d’abord… !!!!  Va voir avec le conseiller d’orientation….pour faire un VRAI métier… »  ..Ta gueule…. !!! oui…je lui répondrais ça aujourd’hui.. !!! « Ta gueule.. !!! Je veux juste jouer, être heureux…alors fou-moi la paix…Je vais m’orienter, ne t’inquiète pas, et je me casse de ton bahut…OK ?  T’as compris Béru ?»

   Avril et les vacances de Pâques arrivent. Je demande à mes parents d’aller les deux semaines à Barbezières, mais tout seul, en moto. Mes parents acceptent. Surement avec une grosse appréhension, mais acceptent. Je pars par une belle matinée ensoleillée, promettant à mes parents de les appeler au téléphone aussitôt que j’arriverai chez mes oncles. Et une heure et demie après, je les appelle… J’entends encore la réaction de ma mère : « Tu es déjà arrivé…Oui maman, le voyage s’est bien passé !…Tu as dû rouler… !!!!....normalement maman….. (Aussi vite que la moto me le permettait bien sûr… !!)

  J’aimais beaucoup la moto, et je me rendais compte que je me débrouillais bien question pilotage, mes copains me trouvaient même plutôt fêlé sur les bords. En 1976, il existait en France le Challenge Honda pour les jeunes à partir de seize ans. Il suffisait d’avoir une Honda 125 « préparée » et équipée « course », pour participer. J’ai demandé à mon père s’il serait d’accord de revendre mon Kreidler, et de m’acheter une 125 Honda pour participer à ce challenge sur piste. Autant dire que sa réponse a été rapide, directe et sans appel : « Hors de question !!! on n’a pas élevé un fils jusqu’à l’âge de 16 ans pour qu’il se tue en course sur une moto.. !!! »..OK papa…je savais qu’il ne fallait pas insister. Avoir une cinquante avait déjà été une démarche compliquée pour moi. Avec le recul, je pense qu’il avait raison. Il savait comment je conduisais, et qu’en course je piloterai jusqu’à mes limites et celles de la moto.

   Mon année de seconde à Turgot se termine bien, avec mon passage en première E. Et les grandes vacances arrivent.

   Pour le mois de juillet, mes parents avaient réservé un gîte de vacances dans le Puy de Dôme, à Feix, près de Laqueuille. La moto est restée à Limoges, mais mon père avait accepté d’emporter mon vélo demi-course en Auvergne. Bien que je fumais, j’avais une bonne santé. J’avais sympathisé avec un jeune qui était aussi en vacances avec ses parents dans un autre gîte, et qui avait aussi un vélo de course. On a fait une balade un matin, partis dans l’arrière-pays sur la Corrèze, nous étions remonté à Feix par l’ancienne route nationale. La montée sur le secteur de St Sulpice n’avait pas encore été modifiée, et la côte faisait environ 4 kilomètres, avec des virages, et une pente sassez raide. Un petit col de montagne. J’ai décidé de larguer le copain au bas de la côte, et de l’attendre en haut, en chronométrant mon avance. Ce que j’ai fait. Je me suis défoncé physiquement, et je lui ai mis plus de quatre minutes. J’étais assez content de moi, face à un gars qui ne marchais qu’à l’Oasis et au Coca, alors que je buvais à table de l’eau et du vin, et je fumais des gauloises. J’avoue que si je n’avais pas fumé, j’aurai été encore plus performant.

    Ces vacances restent un bon souvenir. J’aime l’Auvergne, mais je pensais que le quatorze juillet approchait, et pour moi, le quatorze juillet, c’est la fête à la salle des fêtes de Barbezières. ! J’en parle à mes parents, et mon père trouve une solution. Comme je l’ai déjà dit, mon père travaillant à la SNCF, je ne payais pas le train. Je suis donc allé de Laqueuille à Luxé en train, et mon oncle Jacques est venu me chercher à la gare pour aller à Barbezières. Je restais cinq jours à la ferme. Et lors du quatorze juillet, je me suis éclaté avec des potes, tellement bien qu’à la moitié de la soirée, j’étais comme on dit en Charente « rond comme une queue de pelle » ! Deux « anciens jeunes » du village chantaient du TRI Yann sur la scène en s’accompagnant à la guitare. Ne voyant plus très clair, j’ai voulu monter sur la scène pour chanter avec eux, mais j’avais des problèmes d’équilibre et d’orientation. Mon oncle, Camille, qui était Maire, a voulu me faire descendre de scène, mais j’ai commencé à chercher la bagarre. Mon oncle s’est poussé de ma trajectoire, et c’est un homme originaire de Barbezières, travaillant à Paris mais en vacances au village, qui m’a remis les idées en place. Et effectivement, il a bien fait. Cet homme, c’était le commissaire divisionnaire Touraine, grand chef de la Police au quai des orfèvre, et qui en avait vu d’autres. Il m’a sorti dehors, mis deux calottes pas trop méchantes, et mon oncle m’a ramené à la maison vers quatre heures du matin.

   A sept heures, mon oncle me réveille, pour que j’aille avec eux rentrer de la paille, en petites bottes à l’époque bien sûr !!! je vous assure que ça réveille après une nuit bien arrosée. De bons souvenirs aujourd’hui. Cette méthode devrait être appliquée aux branleurs d’aujourd’hui.. ! Je suis revenu finir mes vacances en Auvergne, et au mois d’Aout…direction Barbezières.

     J’arrive à Barbezières pour relever la vigne, rentrer le regain de luzerne, le reste de paille, enlever le fumier des chèvres, participer aux taches de la ferme….et voir les copains, et les copines. Avec la moto, je suis rarement à la ferme, à part pour travailler. Le travail était prioritaire. Les oncles m’ont appris que le temps libre devait être utilisé pour travailler, le travail passant d’abord et le divertissement après….si on a le temps. C’est un bon principe, qui a été gravé en moi depuis toujours, et qui me fait toujours avancer, en fonction des choses possibles. Tout se passe bien durant ce mois d’août, j’ai bossé ma guitare aussi, et j’ai de plus en plus envie de faire du Rock’n roll.

   Je rentre en moto à Limoges début septembre. Cette nouvelle année scolaire de première E ne m’inquiète pas, mais ne me motive pas énormément non plus. Je sais que je vais bouffer des maths comme on gave un canard. Je me maintiens dans la moyenne de la classe, ce qui, vu le niveau général de la classe, n’est déjà pas si mal. Je retrouve un copain de ma classe certains mercredis ou samedis, dont le père tient un bar vers la gare de Limoges. On joue un peu de guitare ensemble, et il me fait découvrir les nouveauté « import » de certains groupes de rock américain et de la musique disco qui commence à pointer son nez.

   Le disco. Une aberration pour moi. Ma phrase instinctive quand on m’en faisait entendre était du genre : « C’est quoi c’te soupe ?...arrête cette merde et fou-moi les Stones ». Ces mêmes Stones qui ont osé faire « Miss you »..Même eux m’ont déçu cette année-là….faux-culs .. !!! Il y avait encore Status Quo, et quelques groupes émergeants, Moon Martin, les vieux…Elvis, Et quelques artistes de country rock que je découvre, tels Emmylou Harris, Waylon Jennings, Willie Nelson….

   Cette musique disco ne m’accroche pas du tout. Je dirais même que j’y suis réfractaire. Pour moi, c’est l’anti Rock’n roll, c’est la musique des minets, la musique BCBG, conforme à cette société que je rejette au fond de moi. Plus de rébellion, d’anticonformisme, de révolte. Le disco pour moi, ça sent la mode, le fric, les gens « biens », les jeunes fils à papa, « classe » comme on dit. Les gens qui se disent « classe » m’ont toujours fait gerber. C’est la mode de l’apparence petit bourgeois, les branleurs et branleuses qui veulent paraître riches alors qu’ils gagnent le SMIC, bref, tout ce que je n’aime pas. Je n’aime toujours pas le disco, c’est mental et physique. Epidermique… !!

   En cours d’année, les études commencent à me lasser. Je parle à mes parents que j’ai envie de travailler. Mon but étant d’avoir du temps pour travailler la guitare, et jouer, trouver un orchestre de bal, fonder un groupe de rock, n’importe, mais jouer. Je prends conscience que de toute façon, ce que j’apprends au lycée ne m’apportera aucun travail compte tenu que je veux d’abord faire de la musique. Une phrase de Brassens m’avait marqué au cours d’une de ses interviews, dans laquelle il disait qu’il avait toujours pensé qu’on pouvait arriver à vivre sans trop travailler, et qu’il y était arrivé. C’était pour moi la preuve vivante qu’on pouvait, certes pas vivre sans travailler, mais vivre de la musique, à condition bien sûr de travailler dans ce domaine.

   Cette année de première m’aura été utile à une chose très importante malgré tout. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu un prof de français qui m’a donné la passion de lire et de comprendre, de savoir apprécier un texte, un poème, développer des idées, s’exprimer, développer un point de vue. Et j’ai pris la tête de classe en français, sans jamais la quitter. J’écrivais par plaisir des dissertations de quinze pages, voir plus, où je développais mes idées, religieuses, politiques et philosophiques. Pour gagner du temps, je ne faisais jamais de brouillon. Je préparais mon plan, avec les idées principales notées en abrégé, et j’écrivais directement ma dissertation. Ce prof était d’une honnêteté remarquable. J’avais développé des idées personnelles très particulières sur le socialisme et la religion chrétienne. Bien que n’étant pas d’accord sur tout avec mes idées, le prof m’a mis un 17/20. Il m’a appris aussi à aimer la poésie, les sonnets, l’histoire et les style de Victor Hugo, de Lamartine. C’est grâce à lui que depuis, mes livres de français du bac, et diverses anthologies de la poésie française font partie de mes livres de chevet. Je crois qu’il s’appelait M. Princet ou Prinsot. Mais je n’en suis pas sûr. C’est aussi grâce à ce prof que j’ai pris goût aux chanteurs « à texte » de la chanson française, tels Jacques Brel, Georges Brassens, Maxime le Forestier, Jean Ferrat, Michel Sardou, Renaud. Etc…

   Quand j’étais seul à l’appartement, si mes parents partaient le dimanche pour voir de la famille et que j’avais envie de rester seul, je leur disais que j’avais beaucoup de boulot et que je n’allais pas avec eux. Je me faisais alors un jeu que j’aimais beaucoup : Je prenais des poèmes dans mes livres de français, et avec ma guitare, j’improvisais des mélodies sur ces textes, les enregistrant avec mon petit radiocassette qui avait un micro intégré, de mauvaise qualité bien sûr, mais qui me permettait de conserver mes premières compos instinctives. Je ne sais pas où sont passés ces enregistrements, mais je me rappelle encore certaines mélodies. J’étais dans mon univers, et j’y étais bien. Je rêvais de vivre en composant mes propres chansons, parlant de la nature, des choses simples, de la poésie, de philosophie. Bref, je n’ai pas vraiment changé aujourd’hui.

   Un soir, au retour du lycée, je bâcle rapidement mes devoirs, ayant une furieuse envie de jouer de la guitare et de chanter quelques chansons de Brassens. Mon père rentrait du travail généralement vers 18h30 – 18h45, juste avant l’émission « Des chiffres et des lettres ». Quand il arrive, j’était dans la chambre de mes parents en train de jouer. (J’allais dans leur chambre pour faire de la musique, cat elle était plus isolée que la mienne dans l’appartement). Mon père me demande si j’ai bien terminé mes devoirs, et que ce n’est pas avec ma guitare que je gagnerai ma vie un jour. Le remerciant dans ma tête pour ses encouragements, je me disais des phrases pas gentilles du tout à son égard. Il a dû le sentir, car nous sommes encore partis tous les deux dans une polémique qui se terminait généralement pour une grosse prise de tête avant le repas.

   Il va de soi que ma demande d’arrêter le lycée a été classé rapidement par un bref et classique « passe ton bac d’abord » sans appel. Donc, la seule solution que j’avais était de passer mon put…. de bac le plus vite possible pour être débarrassé, donc, ne pas redoubler ni ma première, ni ma terminale…Ce serait aujourd’hui, je planterais tout sans appel, quitte à provoquer un gros désaccord. Passer des années d’études à s’emmerder juste pour faire plaisir à ses parents mène directement et tout naturellement à la dépression nerveuse.

   Tant bien que mal, cette année de première se passe sans grands évènements, et je suis admis en Terminale E, sans notes formidables, mais….je passe.

   Je me préparais à partir en colos, juillet et Aout. Il fallait être majeur pour être moniteur, mais comme j’allais avoir 18 ans au mois d’aout 1977, j’ai eu le droit de travailler depuis le début des vacances scolaires.

  Je vous détail cette époque de mes premières colos dans le prochain chapitre.

 

 

 

 

 

 

 

 

LE TEMPS DES COLONIES

 

  Afin de gagner un peu d’argent pendant les grandes vacances, je demande à mes parents de faire en cours d’année scolaire, mon premier stage de formation pour être moniteur de colonies de vacances. Ce stage, encadré par le CEMEA se passent très bien. Durant ces stages, nous nous réunissons tous les soirs à la veillée entre jeunes, pour parler, chanter quelques chansons à textes d’Hugues Auffray, Le Forestier, Brassens, Moustaki…etc…de bons souvenirs, avec entre nous cette même idéologie de simple liberté, de partage, ces idées post 1968 de révolution baba cool qui a fait tant de bien pour l’évolution et la libération des mœurs, pour décoincer « les vieux » comme on disait à l’époque. Quand je vois le conformisme de beaucoup de jeunes aujourd’hui, je me dis qu’on n’a pas « fini le boulot » à l’époque, et que ce serait bon que les « anciens des années 68-70 » décoincent un peu les jeunes bobos d’aujourd’hui.

 

   Pour ce début dans le monde du travail, j’ai eu une affectation en tant que moniteur dans une petite colo à Ayen en Corrèze, logée dans l’ancienne école. Ma deuxième en Haute Loire, au lieu-dit « Les Biefs », aussi dans une ancienne école primaire.

   Pour ma première colo à Ayen, le directeur m’a attribué le groupe des « Grands », des garçons âgés de 11 à 13 ans environ. J’ai 17, et je n’ai pas eu de problème d’autorité. Si j’avais une faible différence d’âge avec les enfants dont j’étais chargé, je mesurais un mètre quatre-vingt-six, ce que j’avoue, aide pour se faire obéir. Le courant passait bien avec mon équipe, et ce fut une bonne première expérience de moniteur. Chaque soir, lorsque les enfants étaient couchés, on se retrouvait entre moniteurs et monitrices pour parler entre nous, casser la croute en buvant un peu de bière, de vin, ou de jus de fruit pour les plus sages…

   Ma deuxième colo en Haute Loire m’a appris aussi certaines choses, mais pas forcément celles auxquelles je m’attendais. Ayant à sa disposition plus de moniteurs que de monitrices, le directeur de la colo m’attribue le groupe des petites filles de 8 à 10 ans. C’étaient des petites filles adorables, mais c’était d’abord…des filles. Au bout de trois jours, j’ai fermé la porte de leur dortoir à clé dès que nous allions au réfectoire pour le petit déjeuner, et cela pour toutes les activités. Sinon….il y en avait toujours une ou deux qui s’éclipsaient à mon insu pour monter dans le dortoir se changer de teeshirt, de jupe ou de pantalon, voir de chaussures…Je dois avouer que j’étais plus à l’aise, surtout au niveau des activités, avec un groupe de garçon.

 

   Donc cette année-là, pour la première fois, je ne vais pas en vacances à Barbezières. Le temps passe et mes centres d’intérêt aussi. Mais Barbezières reste toujours présent.

 

   Je rentre à Limoges début septembre pour la rentrée en Terminale. Plus qu’un an à tirer….normalement….hélas….à un certain âge, il faudrait arrêter d’obéir à ses parents.

 

  

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ANNEE DU BAC

 

 

   Je ne sais pas ce que ressentent des sportifs qui se retrouvent en stage de préparation avant une compétition importante, mais cela doit ressembler à la mise en condition que nous avons eu de la part de nos profs en début d’année de terminale. On commence par te conditionner. Les profs et l’encadrement du lycée te fond bien comprendre que tu fais partie de l’élite. Tu dois vivre, respirer, te mettre en conditions pour être au top, réussir ton bac, être le meilleur.. !! Et vas-y qu’ils te font de la propagande pour faire les classes préparatoires aux grandes écoles, Math-sup..Math spé…..Non merci…très peu pour moi…

    Etanche à ce genre d’arguments, je me plonge dans les équations de tous genre, les formules chimiques, organique ou pas, les problèmes de physique, jusqu’à l’étude de la relativité. Bizarrement, la physique et la chimie me passionnent, beaucoup plus que l’électricité, l’électronique, l’automatisme. Les matières techniques ne me posent pas de problèmes non plus, et me font même regretter de ne pas être entré en section F1, mécanique et beaucoup moins théorique que E.

   Le cours d’anglais avait lieu le vendredi de 17h à 18h. Nous avions sport de 14h à 16h. Généralement, le prof nous emmenait en car au stade de Beaublanc pour faire du foot ou du rugby. Etant majeur pour la plupart d’entre-nous, avec une grosse soif à 16 heures au retour du stade, nous filions au Bar St Eloi pour s’enfiler une bonne pression en urgence vitale, une seconde plus tranquille en jouant au baby-foot. Une heure d’étude passe très vite dans ces conditions, et n’ayant donc pas besoins de mot d’excuse des parents pour nos absence en cour, l’heure d’anglais de 17h à 18 h était souvent ignorée de la part de certains d’entre nous dont je faisais souvent partie. L’anglais n’avait qu’un faible coefficient pour le bac, et je me débrouillais pas trop mal dans cette langue envahissante, alors j’optais pour la solution Kronenbourg-Flipper-Babyfoot.

   Musicalement, je continue de travailler la guitare avec ma petite classique. Pour avoir un son plus « rock », j’insert un micro à pile acheté pour deux francs six sous en supermarché, je le branche avec la prise DIN sur mon vieux magnéto à bande, je mets celui-ci sur la position « enregistrement » et monte le niveau au plus haut. Il en sort de l’hautparleur un son bien saturé, qui ressemble de très loin aux Fender de Status Quo, mais qui me permets de trouver les riffs de ce groupe de rock, la façon d’attaquer les cordes….et l’envie de jouer. Mon premier ampli de guitare était né de mes « bidouillages » …au grand désespoir de ma mère, qui voit son fils, pourtant éduqué dans les bons principes et la « belle » musique, dévier vers le rock, voir certains groupes punks.

   Les maths, si j’apprends et comprends vite, sont de plus en plus difficiles à digérer. Je pense Rock’n roll, et guitare…électrique. L’idée de former un jour un groupe de rock grandit en moi de plus en plus vite.

   J’approfondi ma connaissance du répertoire des Rolling Stones. J’aime ces riffs, cette musique et ce qu’elle représente, la provocation face aux gens « biens », « classe ». J’aime voir Keith Richards arriver dans des hôtels quatre étoiles, fringué « désordre », très Stones. J’aime voir aussi la réaction de mes parents, très « outrés » par ces gars-là.  Quelques temps après, je ramène à la maison l’album « POWERAGE » d’AC/DC, histoire de monter un échelon de plus dans la « provoc ».

   Beaucoup de jeunes d’aujourd’hui cherchent à bien s’intégrer aux normes de la société. Moi, je ne l’ai jamais acceptée cette société. J’aimais mes parents, sans réserve, mais j’aimais provoquer ma mère, ancienne militaire de carrière, ayant le grade d’adjudant, en passant des chansons telle « Parachutiste » de Maxime le Forestier, ou « La mauvaise réputation » de Brassens, en chantant avec lui : « La musique qui marche au pas, Cela ne me regarde pas… ». Si je n’ai jamais eu la vocation militaire, je pense aussi que chacun doit avoir une vocation différente pour que les choses aillent bien. Il faut une armée, des militaires compétents et efficaces, cela va de soi.

  

 

    J’envisage sérieusement, après mon bac, de travailler dans la musique, d’une manière ou d’une autre. Mais à l’époque, il n’y avait pas un branlo de profs ou de conseiller d’orientation qui m’aurait dit que pour vivre de la musique, je pouvais être engagé dans un orchestre un jour, et avoir le statut d’intermittent du spectacle. Alors, pour la conseillère d’orientation comme pour mes parents, il n’est de « vrai » métier qu’avec des étude « normales » appropriées. Je fais donc, en fils bien obéissant, ma demande d’admission pour la faculté de musicologie de Poitier, dans laquelle je suis admis, sous réserve bien sûr de réussite au bac.

   Et tu sais quoi ?..J’ai eu mon bac….. Et du premier coup… !!! Je n’ai pas fait exprès franchement car je n’avais de toute façon pas prévu de redoubler ma terminale. Il fallait 200 points pour être admis, j’ai eu 204. Mon père m’a dit : « ça, c’est vraiment toi. 204 au lieu de 200, juste l’effort nécessaire, mais sans excès. » Il aurait aimé que j’ai une mention, mais je n’en voyais pas l’utilité. Pourquoi faire un effort inutile pour un examen qui ne me servira de toute façon à pas grand-chose…

   Je me rappelle que j’étais passé voir les résultats du bac affichés vers 16 heures à la porte du lycée Turgot avec mon copain Patrice Ribière. J’ai vu que je l’avais eu, mais sans grande euphorie. Plutôt ave le soulagement d’être débarrassé de la chose.

   On a arrosé ce bac avec deux ou trois potes, sans grandes cérémonies. Si je me rappelle bien, nous étions allés dans un de nos bars préférés à Limoges, boire quelques bières et manger un plat de frites avec de la moutarde.

   Pour ces vacances d’été 1978, je vais en juillet à Barbezières, et au mois d’aout, j’ai une colo où je suis embauché en tant que moniteur à Foulerot, sur l’île d’Oléron.

   Pour cette colo du mois d’aout, nous prenons le car à Limoges, avec les enfants, direction l’île d’Oléron. Un vrai bonheur pour moi. La colonie de Foulerot, gérée par la FOL Limoges, est une colo que j’ai beaucoup aimée. Il y avait 7 groupes d’enfants, huit moniteurs et monitrices, plus le directeur qui était un prof de Turgot. Il m’a affecté le groupe des « grands garçons », et les relations ont été bonnes. On dormait sous une grande tente bleue, style « armée ». Le cuistot, Jeannot était un gars super, prêt à faire des petits « plus » en cuisine pour le repas des moniteurs le soir, quand les enfants étaient couchés.

   Je pense à la rentrée en fac de musicologie. Je suis sceptique sur l’utilité qu’aura pour moi ce genre d’étude. La rentrée n’a lieu qu’en début octobre, donc, j’ai le temps. Avec mes parents, on s’est occupé des différentes démarches nécessaires pour ma rentrée en fac : demande de chambre universitaire, bourses, prêt spéciaux, resto U, fournitures nécessaires, etc….. J’ai repéré où est la fac dans l’ancienne ville de Poitiers.

 

 

LA FAC DE MUSICOLOGIE

 

 

 

   La première journée de fac, les profs s’étaient tous présentés, nous informant sur les différentes matières et programmes qui nous attendaient. Je me suis aperçu alors que ce cycle d’étude était davantage destiné à la formation de profs de musique pour les collèges. Pas vraiment ce que j’attendais. Je voulais jouer, composer, chanter éventuellement.

   Certaines matières m’ont quand même bien intéressées et été utiles.

   Nous avions deux heures par semaines de solfège, avec des dictées musicales, à une voix, deux voix. La prof nous jouait lentement le morceau au piano, nous devions écrire les notes sur la partition, clé de sol et clé de fa pour les dictées à deux voix. Je te garantie que ça développe ton oreille, et les premières notes ne sont pas au top.

   On avait un prof de chant, un ténor de l’opéra de Paris qui donnait quelques cours dans des facs en province. Certainement un bon chanteur, mais un prof d’une intolérance impressionnante. Il t’expliquait la technique, mais il aurait fallu que tu chantes la Traviata au bout d’un quart d’heure avec la voix de Caruso. J’ai quand même retenu ses conseils qui étaient de bons conseils. Mais je n’avais rien de Luis Mariano, j’étais plus porté sur Johnny Hallyday.. !!!

   Tous les élèves de la fac de musicologie étaient obligés de faire partie de la chorale du conservatoire de Poitiers. C’est une expérience que j’ai beaucoup aimée. Le chef d’orchestre, qui gérait l’orchestre symphonique du conservatoire et simultanément la chorale, a commencé par déterminé notre tessiture. J’ai été d’office classé en « basse ». Le programme de l’année était de mettre en place une œuvre complexe à tous les niveaux : la Passion selon St Jean de Jean Sébastien BACH. Nous avions le recueil de partition de l’œuvre entière, écrite en allemand bien entendu ! De nombreux choristes ne parlaient pas cette langue, moi le premier. Alors, une choriste de l’équipe nous faisait chanter tout d’abord en phonétique, en nous expliquant aussi le sens du texte. Nous devions chanter en suivant les notes de la partition. Pour les non-initiés, il faut savoir qu’une chorale se divise en quatre sortes de voix différentes, donc quatre mélodies différentes que l’on chante en même temps. Les voix de soprano et alto sont généralement féminines, les voix de ténor et basse masculines. Nous avions deux répétitions par semaine, en dehors des cours bien sûr, mais j’aimais ce genre de travail, et j’ai beaucoup appris musicalement parlant.

   En fin d’année scolaire, la chorale et l’orchestre étaient au point, après une année de répétitions, et nous avons fait quelques représentations régionales, notamment un soir dans la cathédrale de Saintes. J’aimais bien cette ambiance entre musiciens et chanteurs, c’était de bons moments.

   Les élèves de la fac de musicologie avaient à leur disposition, dans trois salles différentes, trois pianos sur lesquels nous pouvions aller travailler, jouer, préparer concrètement nos exercices d’harmonie. L’harmonie en terme musical n’est pas ici une fanfare, mais un domaine qui définit les règles musicales (accords, nombres et types de mesures, tonalités,…etc.) qui permettent de composer une chanson ou une œuvre instrumentale regroupant plusieurs instruments ou voix qui jouent ensemble. J’aimais aller jouer du piano aussi juste pour me faire plaisir.

   Vers le mois de décembre, j’ai été franc avec mes parents. Je leur ai expliqué la situation, à savoir que cette fac ne correspondait pas à ce que je voulais faire en musique, et j’allais arrêter pour travailler. Après réflexion, ils m’ont dit d’attendre la fin de l’année scolaire, ce qui ferait que je n’aurais pas de rupture dans mes études. Ceci afin que je pose ma candidature l’année suivante pour entrer à l’IUT de Mesures Physiques de Limoges….Et j’ai hélas accepté, je dirais plutôt « obéi »

   Là, je me permets de faire une petite divagation dans mon histoire pour soulever une question importante. J’ai compris quelques années plus tard, avec le recul, que j’avais fait une grosse connerie en obéissant à mes parents, et perdu des années précieuses. Alors surtout, à tous les enfants adultes qui entrent dans la vie active : Respectez vos parents, mais surtout !! surtout !!   Ne leur obéissez pas !!! STOP !!! A un moment, il faut savoir dire à ses parents : « Je vous aime, mais maintenant c’est moi qui décide de ma vie. » Quand vous aurez dit ça, laissez-les régir….ça va passer. Plus ou moins vite, mais c’est leur problème, pas le vôtre ! Ils vont avoir des difficultés parfois à le comprendre, à le digérer, car de nombreux parents veulent que leurs enfants fassent ce qu’EUX ont décidé dans leur tête : Mon enfant sera fonctionnaire, mon enfant sera paysan, ou maçon, ou charpentier, ou chef d’entreprise car il DOIT prendre ma suite. D’autres encore pire : « j’ai travaillé à la mine, à l’usine, au supermarché..etc..…alors mon enfant n’aura qu’à faire pareil !!! »

   Ils sont parfois aussi butés pour les loisirs. Ils aiment le foot, leur gamin doit en faire. Elle fait de la danse, alors sa fille doit en faire. Ils votent à gauche, ou à droite, alors leur enfant doit avoir les mêmes idées… La plupart du temps, les enfants n’osent pas prendre les décisions qu’ils voudraient dans leur vie car ils ont peur de la réaction de leurs parents. Vos parents ont fait leur vie, faites la votre.

  Parents du monde entier, arrêtez d’être de vulgaires cons, et demandez juste à votre enfant : « Que veux-tu faire dans ta vie pour être heureux mon enfant, quel métier, quel loisir, dans quelle région veux-tu habiter..etc. ? » Alors on va t’aider selon nos possibilités pour y parvenir.  Je suis paysan mais tu veux être musicien ? Alors sois musicien et TRAVAILLE pour cela. Je suis maçon mais tu veux être coiffeur ? Alors sois coiffeur et TRAVAILLE pour cela. Je joue au foot mais tu veux faire de la danse ? Alors vas-y et TRAVAILLE pour y arriver. Et ainsi de suite…

   Il n’y a pas de métiers qui n’en sont pas, ou de métiers supérieurs aux autres. Il y a juste des gens qui travaillent pour y arriver, en sachant que quel que soit notre choix, ce n’est pas forcément facile, et ça n’arrive pas en restant le cul sur en chaise en se plaignant que la vie est dure et qu’on n’a pas de chance… !

   Je précise que je ne fais aucuns reproches à mes parents car ils ont pensé faire bien. Parent n’est pas un métier facile. Mais j’ai fait attention de ne pas reproduire ces erreurs avec mes propres enfants. Ce que nous pouvons faire de mieux pour nos enfants, c’est de les aider à être eux-mêmes.

 

   Pour continuer mon année en fac de musicologie à Poitiers, j’ai arrêté en novembre 1978 de suivre les cours qui ne m’intéressaient pas. Ce temps libre, je le passais essentiellement dans ma chambre universitaire de 16 mètres carrés. Avec quelques petites économies, je m’étais acheté dans un magasin d’instruments de musique de Poitiers, une guitare électrique gamme moyenne, afin de travailler différemment la guitare. N’ayant pas d’ampli spécifique je branchais ma guitare électrique sur l’entrée « enregistrement » de mon vieux magnéto à bande, et montais plus ou moins le gain d’entrée en fonction du son recherché. Je passais mes journées à écouter essentiellement les cassettes audio des Rolling Stones, cherchant à reproduire les plans des riffs de Keith Richards. J’écoutais aussi Elvis, Johnny, Téléphone, Bijoux, et quelques autres artiste de Rock’n roll. Je cherchais les accords « à l’oreille », notais les tonalités, et jouais….une grosse partie du temps.

   Si le midi je mangeais généralement au resto-U qui se trouvait au rez de chaussée de ma citée, je mangeais le soir dans ma chambre, des choses que j’aimais : rillettes, saucisson, chips, quelques fruits et des gâteaux. Sans oublier le vin rouge, et de temps en temps un apéro. J’aimais être seul, dans mon univers. Je ne cherchais pas spécialement de relations avec d’autres étudiants. J’étais marginal dans ma tête, et ne voyais pas la vie comme la plupart des étudiants qui bossaient pour avoir un emploi bien intégré à la société. Avoir une situation ne m’intéressait pas du tout. Je voulais juste vivre à ma façon, et c’était en fait ce que je faisais dans cette année de fac loupée.

   Durant cette année, j’ai eu un pote dans la classe, marginal un peu comme moi. Mais j’ai vite compris qu’on fonctionnait différemment. Il n’avait pas d’hébergement, alors il vivait avec une jeune femme divorcée qui lui assurait le clos, un peu le couvert, et sa compagnie. Un soir, il m’a proposé de venir avec eux au cinéma pour voir le film « More », mis en musique par les Pink Floyd. J’ai dis OK. Je passe les prendre avec la 4L après mangé le soir, et là, je rentre chez eux et les vois se faire une ligne d’héroïne. Ils me proposent, mais je refuse. J’ai toujours été catégorique vis-à-vis de toute sorte de stupéfiants. Ne surtout pas en consommer.

   On part au ciné, et chemin faisant, la chnouf faisant son effet, ils arrivent au cinéma, dans le centre-ville de Poitiers, dans un état pitoyable ! Ils tremblaient de partout et avaient du mal à parler correctement. Je redoutais qu’on se fasse repérer et avoir des problèmes. Durant la projection du film, l’effet de la drogue s’est atténué, et j’ai pu les ramener chez eux sans soucis.

   Un autre soir, ils m’invitent à passer chez eux après manger, des amis y venaient aussi. Lorsque j’arrive, ils sont huit dans la salle à manger, fumant de l’herbe et autres substances introuvables au bureau de tabac. Ils font passer un joint et me le proposent. Je réponds que je me contenterai de mes Gauloises, et que s’ils ont une bière au frais je serai le plus heureux des hommes. Nos relations amicales se sont arrêtées là.

   Le reste de mon année de fac s’est passé de cette façon-là. Rien de bien extraordinaire, mais j’ai beaucoup progressé en guitare. En cela cette année m’a été très utile pour mon avenir…

    Je reviens à Limoges chez mes parents fin Mai 1979. Je suis réengagé en tant que moniteur pour trois semaines pendant l’été, dans la colonie de vacances de la FOL de Limoges, à Foulerot, au nord-est de l’île d’Oléron.

  En juillet, je reste avec mes parents. Ils ont acheté une maison dans un lotissement à Isle, près de Limoges. Je les aide pour le déménagement, que nous faisons petit à petit avec nos voitures. Mon père loue un fourgon pour finir de déménager les meubles et « gros morceaux ». Un déménageur a été nécessaire pour descendre le piano de ma mère du quatrième étage de Vanteaux, et l’amener à Isle.

 

  Au mois d’Aout,, mes parents me prêtent leur 4L. Je vais directement en voiture à la colonie de Foulerot. Cette deuxième année à cet endroit se passe aussi bien que le premier. Un des moniteurs de Limoges,  est soi-disant batteur, et me parle qu’il aimerait monter un groupe de Rock à la rentrée. Je suis intéressé, et on se promet de se recontacter à l’automne pour en parler plus concrètement. A la fin de la colo, je rejoins mes parents à La Rémigeasse pour deux semaines de plus sur l’île, où ils avaient loué un gîte pour leurs vacances.

   Nous rentrons début septembre à Limoges, pour commencer ma première année d’IUT de Mesures Physiques, où malgré toute attente, j’ai été accepté au vu de mon dossier scolaire de Terminale E.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IUT – LES ETUDES ME POURSUIVENT

 

 

    Je rentre en première année sans grande motivation. Il faut que je me replonge dans les maths. Les maths « haut de gamme » comme je dis.

   En quelques mots, le programme des cours en IUT Mesures Physiques, cela se résumait à 32 heures de maths par semaines. Il fallait que le prof de maths (5 heures par semaines) avance son programme relativement rapidement, afin que les profs des autres matières puissent faire avancer aussi leurs propres cours. Les autres matières, c’était : Physique, Chimie, Mécanique des fluides, optique, électricité, électronique, plus les travaux pratiques qui vont avec. Je bosse le minimum pour suivre. Les profs commencent à nous parler de continuer au bout de ces deux ans en écoles d’ingénieurs, de trouver des emplois de techniciens sup, bref….de plus en plus le ras le bol monte inexorablement en moi. Mais mes résultats sont moyens et me permettent de suivre.

   Parallèlement, je recontacte le moniteur-batteur connu en vacances à Foulerot, pour parler du groupe de rock. Je me rends compte qu’il n’a jamais joué de batterie, mais qu’il s’est entraîné jusque là sur des caisses en carton. Envisageant d’acheter enfin sa batterie avec son argent gagné en colo, il me présente un guitariste d’Aixe sur Vienne, débutant lui aussi, un peu marginal dans ses pensées. Mais je le suis largement moi aussi. On fait quelques répétitions dans son garage pour apprendre à se connaître, apprendre aussi à jouer ensemble avec d’autres musiciens. C’était une première expérience pour nous tous. Le projet, s’il n’est pas encore bien déterminé, nous motive. Il nous manque un bassiste, un chanteur et une sono. Tu vois, ce n’est pas encore gagné…

   Durant cette année, je sympathise avec un copain d’IUT, Jean Marc, qui habite lui aussi à Isle. Il joue de la guitare. IL joue de la classique, et en joue bien. On parle de temps en temps, chez ses parents ou les miens, en fumant une cigarette. Un jour, je lui dis qu’on veut créer un groupe de rock avec quelques potes, et qu’il nous manque un bassiste. Il dis OK, achète une basse, et se mets à travailler la basse.

   On nous indique un jeune de la citée de La Bastide qui chante un peu comme Johnny. On le contacte. Sympas, il est intéressé par le projet. Il chante pas trop mal…son voisin Claude trouve une petite sono d’occasion. Les répétitions vont pouvoir commencer. Il ne reste plus qu’à trouver un local pour répéter. Le groupe ULTIME ATOME est né.

   Jean Marc connaît un ami à Condat sur Vienne, agriculteur, qui nous loue une pièce au-dessus d’une de ses granges, pour 20 francs par mois. Divisé par cinq, on est tous d’accord. Et les répétitions commencent. Tant bien que mal. On fait quelques compos, que je fais moi-même, dans l’esprit de « Trust », Rock’n Roll, mais en français. Chaque semaine, on tâche de travailler le samedi après-midi. Cela se termine en général au bar « l’Etoile Bleue », près de la gare de Limoges, devant une bière et un plat de frites. Il n’y a pas encore de représentations en public, on joue, pour le plaisir, avec de l’énergie, et beaucoup d’espoir. Je compose une dizaine de chansons pendant cette année scolaire.

     Au printemps, nous jouons dans une petite maison des jeunes à Aixe sur Vienne. Nous avons une trentaine de jeunes qui viennent nous voir. Tout se passe bien, avec des échos pas trop mauvais. Le point faible étant que le chanteur a des problème de rythme pour se caler sur la musique. C’est très ennuyeux parfois.

   De bouche à oreille, on nous propose, bénévolement, de participer à la fête de Lutte Ouvrière, qui a lieu au printemps de chaque année, en plain air, dans le parc de Bayles d’Isle. On dit OK. Nous sommes prévus pour terminer la soirée de concert. On doit jouer cinq chansons. C’est une première pour nous : un vrai concert avec une grosse sono pro, un technicien du son, éclairages. Vous me connaissez, je ne suis pas du tout provocateur. Je choisi qu’on termine notre prestation avec une compo, « URSS », dans l’esprit du groupe TRUST, avec des paroles violement anti-communistes. La section de Lutte ouvrière ne nous a jamais recontactés. Etrange, non… ?

    A l’IUT, l’année scolaire touche à sa fin, et je suis admis en deuxième année. Juste juste, mais admis.

    Je recherche un autre travail que la colo pour gagner de l’argent pendant les vacances qui arrivent. Je demande à l’ANPE, pour les emplois d’étudiants, et ils m’indiquent un éleveur de Bourganeuf, en Creuse qui recherche deux jeunes pour juillet, pour faire les foins. Ce genre de travail ne me fait pas peur. Je suis paysan depuis ma naissance, tous les ans pendant mes vacances. Il faut savoir qu’à cette époque, tout le foin se rentre encore en petites bottes moyenne densité, chargées en brassées à l’huile de coude. ! J’en parle en classe que l’agriculteur où je vais bosser recherche un autre gars pour les foins. Un gars de la classe se propose. Je l’averti bien que ce ne sont pas des vacances à la campagne, mais un boulot physique….Et il n’est pas très costaud le gars. Mais il s’engage.

   On va voir le patron, M. Duboeuf à Bourganeuf pour prendre contacte fin juin. La contacte est bon pour moi. Il nous donne les conditions, paye correcte, nourris, logés, plus le SMIC et les heures supplémentaires. Je me rappelle sa phrase : « Ici, on est payé, on mange bien, on bois bien, mais on travaille ». Et pour travailler, on allait travailler. Un jeune, amis de la famille, a rejoint la ferme au début Juillet. Nous étions donc trois saisonniers. Le patron avait aussi un ouvrier agricole portugais à temps plein. Il était logé avec sa famille, dans une maison individuelle, sur la ferme. Un gars super sympas, et travailleur.

   Le matin, en général, nous fanions l’herbe des prés que le patron avait fauché les jours précédent, afin qu’il sèche mieux. Ou bien on endainait le foin fané et sec, c’est-à-dire il fallait mettre la faneuse accrochée au tracteur en position « endains », pour aligner le foin, afin que la presse puisse l’avaler et faire les bottes. (Je précise tout ça pour les non-paysans). Nos tracteurs étaient des vieux Massey-Fergusson 40 chevaux, rouge ou gris, sans cabine bien sûr. Des tracteurs des années cinquante, mais que j’aimais bien conduire. Ils me changeaient du Renault de mes oncles. On prenait les pentes en travers. Si tu connais le relief de la Creuse, tu vas comprendre que parfois, le tracteur partait en dérapage vers le bas de la pente. Je me tenais les deux pieds sur le repose-pied « amont », afin de pouvoir sauter si par malheur le tracteur chavirait vraiment.

   L’après-midi, le patron pressait les bottes de foin. Nous avions un monte-botte qui s’accrochait à la remorque, mais la plupart du temps, nous avions plus vite fait de charger les bottes à la main. En général l’ouvrier portugais « faisait la remorque », plus expérimenté pour entasser les bottes afin que la remorque ne chavire pas en la rentrant jusqu’à la grange.

    Les soirs, après manger, on se retrouvait entre jeunes dans une grande pièce du grenier, avec la fille et le fils du patron. Je récupérais rapidement à cette époque, et j’étais en pleine forme pour notre soirée à la ferme. Nous écoutions de la musique, et discutions, rigolions…. Le pote de l’IUT et l’autre jeune me demandaient comment je faisais pour être en forme après une journée chargé de travail intense physiquement. Je leur ai juste fait remarquer qu’il n’y avait que moi et le patron qui buvions du vin (du bon Beaujolais), et que ça refaisait le plein d’énergie. Les deux autres gars ont essayé, délaissant l’eau plate et le Coca. Et ils ont constaté que ce breuvage était bon pour leur santé….Je n’en ai jamais douté personnellement… !!!

   Au mois d’aout, je file en voiture (ma première voiture, une Simca 1100 GLS) à la ferme familiale de Barbezières. En arrivant de Limoges, j’aperçois mes oncles en train de rentrer de la paille dans leur parcelle du Mont Bréchet. J’y vais directement, descend de voiture, prends la fourche de mon oncle Camille, et fini le chargement avec « P’tit Louis », un pote voisins qui les aidait. Je me rappelle leur avoir dit que j’avais l’entrainement d’un mois de foin en Creuse, et que le boulot qu’on fait ici à la ferme va être de vraies vacances en comparaison. Et rebelotte pour un mois de paysan.. !!

   En septembre, retour à Isle chez mes parents pour l’entrée en deuxième année de Mesures Physiques. Mais le moral et la motivation y sont de plus en plus absents. Je suis les cours…un peu. Les répétitions avec ULTIME ATOME reprennent aussi, mais les autres de l’équipe sont moins motivés aussi et les répétions sont de plus en plus espacées.

   Ayant une overdose de maths, souvent le matin, je pars seul au local de répétition au lieu d’aller à l’IUT. Je me passe des cassettes des Rolling Stones dans la sono, et je m’apprends tout seul à me servir d’une batterie en tapant par-dessus Charly Watt. Une bonne école, mais pas celle que mes parents pensaient que je suivais. Ma mère n’y voit rien, me demande si j’ai eu des notes. Je lui dis que non, bien sûr.

   Le soir, je fais semblant de faire mes devoirs dans ma chambre, en écoutant sur Inter l’émission rock de Bernard Lenoir, suivie de celle d Philippe Manoeuvre dans le même style. Je découvre alors des artistes de country rock américain, de rockabilly, bref, la musique que j’aime. Que j’aime tellement que j’y pense de plus en plus, et de moins en moins aux maths.. !

   Tant est si bien qu’au mois de décembre je « pète un câble ». J’avoue à mes parents que je ne peux plus aller à l’IUT, que j’en ai plain le c.., que je perds mon temps et eux perdent leur argent. Ils admettent la situation et se résignent à ce que leur fils bien aimé arrête ses foutues études, en me disant malgré tout « c’est dommage quand même », à quoi je réponds « c’est dommage que je ne l’ai pas dit plus tôt…OUF !!!!enfin….c’est fait…Libéré…Finies les études….. ouaaiiis… !!!

    Ayant fait un report d’incorporation pour le service militaire, mon oncle Pierrot me trouve par ses relations un emploi dans une usine d’usinage mécanique de Limoges, jusqu’à mon départ à l’armée. Je vais enfin bosser et pouvoir me payer une chaîne HIFI, et d’autres choses. Vivre. !!

   Le groupe ULTIME ATOME n’étant plus qu’un souvenir, j’ai envie de trouver un petit orchestre de bals pour me faire la main en tant que guitariste. Si j’aime le rock, je connais aussi la plupart des rythmes et des plans harmonique du musette, et je pense que je saurai m’en sortir pas trop mal.

   Je reviens voir Roger Peyrieras, et lui demande si éventuellement il pense que je pourrais rentrer dans un orchestre de bal de la région, pour essayer de boulot. Il me dit qu’un de ses anciens élèves, Marcel Brissaud, de Laurière, a un orchestre et cherche un guitariste. Il me donne son téléphone.

   Je contacte Marcel Brissaud. Il me propose de monter le voir à Laurière et de faire une répétition ensembles pour voir. J’y vais avec mon ampli guitare, ma première Fender Télécaster, et un gros moral. La répétition se passe très bien. Marcel joue de l’accordéon, très bien d’ailleurs, et du synthé, son frère Alain de la batterie. Sa femme chante, et il a un autre guitariste de Guéret : Bruno. On joue outre le musette, les succès de l’époque, de Michel Sardou, Michèle Torr, Claude François. Il me propose même de chanter quelques chansons de mon choix. Je choisis entre autres quelques titres d’Elvis, des Stones, d’Emmylou Harrys.

   La première date est prévue le 31 décembre 1980 au Casino de Neuvicq D’Ussel, pour le réveillon. On y va.. !!

En scène de 21H30 – 6h30….pour un début… !!!! Je me débrouille à l'oreille...ni grilles ni partitions à l'époque. Je dois avouer que ma culture « musette » m'a beaucoup servi ce soir-là, et le chef d'orchestre m'a annoncé à la fin du réveillon qu'il me gardait et que j'étais un bon guitariste. Plutôt heureux le petit jeune de Pierre qui débutait… Mais crevant ! J'ai dit à mes parents au retour que c'est trop fatiguant, que je vais faire encore un bal ou deux, et puis arrêter.. Trop dur… !!! Il y a 41 ans que c'est comme ça !!!

   Tu comprends vraiment maintenant que pour être musicien, ou artiste en général, il faut surtout en avoir envie…très envie.

  Et c’est parti pour…41 ans de bals..

 

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